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Histoire de bavarder par écrit
 
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 ça se passe à Vigata

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Claudius
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Claudius


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MessageSujet: ça se passe à Vigata   ça se passe à Vigata Icon_minitimeLun 30 Oct 2006 - 12:10

L'autre jour, je suis ressorti de la bibliothèque avec un livre d'Andréa Camilleri : Un mois avec Montalbano. J'avais déjà lu de cet auteur un livre curieux La voix du violon.
Curieux, pourquoi ?
Parce que j'ai trouvé que le héros, le commissaire Montalbano avait des points communs avec Pepe Carvalho, un de mes personnages préférés de la littérature policière (Manuel Vasquez Montalban, décédé il y a peu de temps). Comme lui, il aime flâner, philosopher, manger, et comme lui son auteur l'a entouré de personnages secondaires assez truculents.

J'ai choisi ce livre parce que c'est un recueil de nouvelles, et, pour ceux qui ne connaissent pas, je vais vous en recopier une ou deux pour que vous rencontriez ce personnage.

J'ai également trouvé quelque chose de bizarre dans ce livre. Il a été traduit de l'italien (Sicile) par Serge Quadruppani (un auteur, lui aussi) avec l'aide de Maruzza Loria. Et, à première vue, je me suis demandé si l'éditeur n'avait pas laissé échapper quelques coquilles. En tournant la page du titre je suis tombé sur cet avertissement du traducteur:

Sur le style de Camilleri, sa langue italo-sicilienne, sa syntaxe particulière, son usage du passé simple, on aura intérêt à se reporter à la préface de La forme de l'eau, premier volet des aventures du commissaire Montalbano, chez le même éditeur (nota du recopieur : Fleuve Noir) où l'on trouvera aussi nombre de personnages qui réapparaissent ici. De plus, on a tenté de rendre la morphologie particulière de certains mots par des déformations volontaires.
Pour ne pas dénaturer une telle traduction qui fait partie, après tout, également de l'oeuvre proprement dite, je relirai plutôt deux fois qu'une ma copie afin d'enlever mes éventuelles fautes de frappes pour ne pas "polluer" les bizarreries de la traduction (notamment des "i" à la place des "e" lorsque ceux-ci suivent des "p").


Voilà, cet avertissement donné, je voudrais vous faire part d'un avis prélevé sur le net :

Citation :
Un flic cultivé… et fin gourmet

Trente courtes nouvelles, une à déguster par jour, on en a bien pour un mois : aucun doute n'est permis, le titre annonce clairement la couleur ! Ce livre nous rapporte les enquêtes du commissaire Salvo Montalbano dans la petite ville imaginaire de Vigata, au cœur de la Sicile. Solidement planté dans son terroir, cet homme placide et bon enfant, aussi gourmet que fin lettré, observe ses contemporains avec acuité et résout par empathie avec les coupables les affaires qu'il prend en charge. Au fil des trente mystères qui nous sont proposés, il nous fait découvrir son pays, sa culture. Sa cuisine aussi (vive les sardines marinées dans le jus d'orange) !

Quand un homme issu du pays qui a accouché de la Mafia se prend de passion pour la littérature policière, cela donne une œuvre d'exception. Ce recueil confirme l'excellente impression ressentie à la lecture de " La Forme de l'Eau ". Dans ce recueil, la vie quotidienne est décrite de manière vivante. Les gens vivent tranquillement, avec parfois des explosions de passion ; les Siciliens sont fidèles à leurs traditions et la majeure partie des crimes qui se commettent à Vigata est le fruit d'affaires d'honneur. Aussi Montalbano ne juge jamais les coupables et c'est sans doute parce qu'il les comprend qu'il peut les arrêter. Si ce livre est aussi savoureux, cela est encore dû à la personnalité du commissaire. Derrière l'homme ombrageux dont le caractère change en fonction de la météo, on découvre un flic cultivé capable, de temps à autre, de laisser libre cours à et d'apprécier une certaine forme d'humour. On sera peut-être surpris par les concessions que ce policier qui a sa propre notion de la justice accorde à la Mafia alors qu'il se montre intraitable et intransigeant vis-à-vis d'autres criminels. Mais l'intérêt du livre ne niche là : nous faire découvrir l'histoire de la Sicile, plonger dans une culture différente avec des références ne sont pas les mêmes que les nôtres. Il nous faut alors tenter de comprendre, sans pour autant juger. Le livre est fort bien écrit. L'excellente traduction de Serge Quadruppani réussit le tour de force de respecter l'écriture et le style d'Andrea Camilleri. Ainsi, il est parvenu à restituer des formules et des tournures de phrases typiquement siciliennes. Cela ajoute encore à la saveur de l'ensemble.

Un excellent recueil, fort agréable à dévorer !

Recueil de nouvelles.

Traduit de l'italien (Sicile). Première parution dans la langue originale en 1998.

Ed. Fleuve Noir.

"Comités de Lecture Adulte du réseau brestois des bibliothèques municipales"
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MessageSujet: Re: ça se passe à Vigata   ça se passe à Vigata Icon_minitimeLun 30 Oct 2006 - 12:13

L'art de la divination

A Vigàta, la fête du carnaval n'a jamais eu de sens. Pour les grands, naturellement, qui n'organisent pas de réveillons ni de dîners spéciaux. Pour les minots, en revanche, c'est une toute autre musique, ils montent et redescendent le cours en se pavanant dans leurs costumes désormais sous influence télévisuelle. Aujourd'hui, on ne trouve plus, même à prix d'or, de costume de Pierrot ou de Mickey, Zorro survit, mais ce sont Batman et de hardis cosmonautes en étincelantes tenues spatiales qui font fureur.
Toutefois, cette année-là, la fête de carnaval eut un sens au moins pour un adulte : le professeur Gaspare Tamburello, proviseur du lycée local Federico Fellini, très récemment ouvert, comme le laisse deviner le nom qui lui avait été attribué.

- La nuit dernière, on a tenté de me tuer ! proclama le proviseur en entrant, et en s'asseyant dans le bureau de Montalbano.
Le commissaire le regarda, estourbi. Non pas à cause de la déclaration dramatique, mais en raison du curieux phénomène en cours sur le visage du type qui passait, sans transition, du jaune de la mort au rouge du poivron.
" Celui-là, il va se choper un symptôme", pinsa Montalbano, et il dit :
- Monsieur le proviseur, racontez-moi tout. Vous voulez un verre d'eau ?
- Je ne veux rien ! rugit Gaspare Tamburello.
Il s'essuya le visage avec un mouchoir et Montalbano s'étonna que les couleurs de la peau n'aient pas déteint sur l'étoffe.
- Ce super grand cornard l'a dit et il l'a fait !
- Ecoutez, monsieur le proviseur, vous devez vous calmer et tout me raconter dans l'ordre. Dites-moi exactement comment ça s'est passé.
Le proviseur Tamburello fit un effort visible pour se contrôler, puis attaqua :
- Vous savez, commissaire, que nous avons un ministre communiste à l'Education Nationale ? Ce qui veut dire qu'on étudie Gramsci à l'école. Mais moi, je me demande : pourquoi Gramsci oui, et Tommaseo (Nicolo Tommaseo, 1802-1874, philologue, auteur de monumentaux dictionnaires de la langue italienne N.d.T.) non ? Vous pouvez m'expliquer, vous, pourquoi ?
- Non, dit sèchement le commissaire qui en avait déjà plein le dos. Si on en venait au fait ?
- Donc, pour conformer l'institut, que j'ai la charge et l'honneur de diriger, aux nouvelles normes ministérielles, je suis resté à travailler dans mon bureau jusqu'à minuit passé.
Au pays, on savait pour quelle raison le proviseur trouvait toutes les raisons possibles pour ne pas rentrer chez lui : là, comme un tigre à l'affût, l'attendait son épouse Santina, mieux connue à l'école sous le nom de Santippe (Santina : "petite sainte". Santippe : épouse de Socrate, archétype de la mégère N.d.T.). Le moindre prétexte suffisait à déchaîner Santippe. Et alors, les voisins xommençaient à entendre les cris, les offenses, les insultes que la terrible femelle infligeait à son mari. En rentrant à minuit passé, Gaspare Tamburello espérait la trouver endormie et éviter la scène habituelle.
- Poursuivez, je vous en prie.
- J'avais à peine ouvert la porte de l'immeuble que j'ai entendu une détonation très forte et vu un éclair. J'ai aussi entendu, distinctement, quelqu'un qui ricanait.
- Et vous, qu'avez-vous fait ?
- Qu'est-ce que je devais faire ? Je me suis mis à grimper l'escalier en courant, j'ai oublié de prendre l'ascenseur, j'avais les sangs retournés.
- Vous l'avez dit à votre dame ? demanda le commissaire qui, quand il s'y mettait, savait être vraiment mauvais.
- Non. Et pourquoi ? Elle dormait, pauvre femme !
- Et vous auriez même vu la flamme ?
- Bien sûr que je l'ai vue. (Montalbano eut une moue dubitative, le proviseur la remarqua.) Qu'est-ce qu'il y a, vous ne me croyez pas ?
- Je vous crois. Mais c'est étrange.
- Pourquoi ?
- Parce que si par hasard quelqu'un vous tire dans le dos, vous entendez la détonation, certes, mais vous ne pouvez pas voir la flamme. Vous comprenez ?
- Et moi, au contraire, je l'ai vue. Ca va comme ça ?
Le jaune de la mort et le rouge du poivron se fondirent en un vert olive.




(à suivre)
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MessageSujet: Re: ça se passe à Vigata   ça se passe à Vigata Icon_minitimeLun 30 Oct 2006 - 12:17

- Vous, proviseur, vous m'avez laissé entendre que vous connaîtriez la personne qui vous a tiré dessus.
- N'utilisez pas le conditionnel. Je sais très bien qui l'a fait. Et je suis ici pour déposer une plainte en bonne et due forme.
- Attendez, ne vous précipitez pas. D'après vous, c'était qui ?
- Le professeur Antonio Cosentino.
Net, décidé.
- Vous le connaissez ?
- Quelle question ! Il enseigne le français à l'institut !
- Pourquoi l'aurait-il fait ?
- Encore ce conditionnel ! Parce qu'il me hait. Il ne supporte pas mes rappels à l'ordre incessants, mes blâmes. Mais moi, qu'est-ce que j'y peux ? Pour moi l'ordre et la discipline sont des impératifs catégoriques ! Le professeur Cosentino, en revanche, s'en fiche éperdument. Il arrive en retard aux conseils des professeurs, conteste presque toujours ce que je dis, prend des airs supérieurs, monte ses collègues contre moi.
- Et vous le pensez capable d'un homicide ?
- Ah ! Ah ! Vous voulez me faire rire ? Ce type-là est capable non seulement de tuer, mais de bien autre chose encore !
" Et qu'est-ce qu'il peut bien avoir de pire que de tuer ?" pinsa le commissaire. Peut-être dépecer le cadavre du tué et de se le manger moitié en pot-au-feu et moitié au four avec des patates.
- Et vous savez ce qu'il a fait ? poursuivit le proviseur. Je l'ai vu moi, de mes yeux vu, offrir à fumer à une élève !
- De l'herbe ?
Gaspare Tamburello sursauta, se troubla.
- Mais non, de l'herbe ! Pourquoi devraient-ils fumer de l'herbe ? Il lui donnait une cigarette.
Il vivait hors du temps et de l'espace, monsieur le proviseur.
- Il me semble avoir compris que vous avez affirmé tout à l'heure que le professeur vous a menacé.
- Pas précisément. Une menace qu'on peut appeler une menace à proprement parler, il n'y en a pas eu. Il me l'a dit comme ça, en faisant semblant de plaisanter.
- Dans l'ordre, je vous en prie.
- Donc, il y a une vingtaine de jours, le professeur Lopane a invité tous ses collègues au baptême d'une de ses petites-filles. Je n'ai pu m'y soustraire, vous comprenez ? Pourtant, je n'aime pas que les chefs et les subordonnés fraternisent, il faut toujours maintenir une certaine distance. (Montalbano regretta que le tireur, s'il avait vraiment existé, n'ait pas mieux visé.) Puis, comme il arrive toujours dans ce cas, tous ceux de l'institut se sont retrouvés réunis dans une pièce. Et là, les enseignants les plus jeunes ont voulu organiser quelques jeux. Tout d'un coup, le professeur Cosentino a dit qu'il possédait l'art de la divination. Il a affirmé qu'il n'avait pas besoin d'observer le vol des oiseaux ou les viscères d'un animal quelconque. Il lui suffisait de regarder intensément une personne pour voir distinctement son destin. Une petite sotte, la professeur Angelica Feracota, une suppléante, l'a interrogé sur son avenir. Le professeur Cosentino lui a prédit un grand changement amoureux. Quel exploit ! Tout le monde le savait que la suppléante, fiancée à un dentiste le trahissait avec le prothésiste dentaire et que le dentiste, tôt ou tard, il s'en apercevrait ! Au grand amusement ...
Au mot "amusement", Montalbano n'y tint plus.
- Ah non, monsieur le proviseur, là on va y passer la nuit ! Communiquez-moi seulement ce que le professeur vous a dit, ou plutôt vous a prédit.
- Comme tout le monde le pressait pour qu'il devine mon avenir, il m'a regardé fixement, si longtemps qu'un silence de tombe s'est installé. Vous voyez, commissaire, il s'était créé une atmosphère qui, sincèrement ...
- Laissez tomber l'atmosphère, sapristi !
Homme de l'ordre, le proviseur obéissait aux ordres.
- Il m'a dit que le 13 février j'échapperais à une attaque, mais que, d'ici trois mois, je ne serais plus parmi eux.
- Ambigu, vous ne trouvez pas ?
- Comment ça, ambigu ? Hier, c'était le 13, non ? On m'a tiré dessus, oui ou non ? Et donc il ne s'agissait pas d'une attaque d'apoplexie, mais d'une vraie attaque au pistolet.
La coïncidence troubla le commissaire.
- Ecoutez, proviseur, mettons-nous d'accord comme ça. Moi, je mène quelques enquêtes et puis, si nécessaire, je vous prierai de porter plainte.
- Si vous m'ordonnez d'agir ainsi, j'agirai ainsi. Mais moi, j'aimerais le savoir tout de suite en taule, ce voyou. Au revoir.
Et enfin, il décarra.
- Fazio ! appela Montalbano.
Mais au lieu de Fazio, il vit le proviseur réapparaitre sur le seuil. Le visage, cette fois, tirait sur le jaune.
- J'oubliais la preuve la plus importante !
Derrière le proviseur Tamburello apparut Fazio.
- A vos ordres.
Mais le proviseur continua, imperturbable :
- Ce matin, en venant ici déposer ma plainte, j'ai vu que sur la porte de mon immeuble, en haut, à gauche, il y a un trou qui n'y était pas avant. C'est là que le projectile a du se ficher. Enquêtez là-dessus.
Et il sortit.
- Tu le sais, où habite le proviseur Tamburello ? demanda le commissaire à Fazio.
- Oh que oui.
- Va donner un coup d'oeil à ce pertuis dans la porte et puis tu me rends compte. Attends, avant tu téléphones au lycée, tu te fais passer le professeur Cosentino et tu lui dit que cet aprés-midi, vers les cinq heures, je veux le voir.




(à suivre)
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MessageSujet: Re: ça se passe à Vigata   ça se passe à Vigata Icon_minitimeLun 30 Oct 2006 - 12:18

Montalbano revint au bureau à quatre heures moins le quart légèrement alourdi par un kilo et quelques de poissons grillés, si frais qu'ils avaient recommencé à nager dans son estomac.
- Pour y être le pertuis, il y est, rapporta Fazio, mais il est tout neuf, le bois est vif, il n'y a pas de marque de projectile, on le dirait fait au canif. Et pas trace de balle. Je me suis fait une opinion.
- Dis-la.
- Je ne pense pas qu'on lui ait tiré dessus, au proviseur. Nous sommes en période de carnaval, peut-être qu'un petit chenapan a eu envie de déconner et lui a balancé un pétard ou une fusée.
- Plausible. Mais comment tu l'expliques le pertuis ?
- Le proviseur l'aura fait lui-même, pour faire croire aux conneries qu'il est venu vous raconter.
La porte s'ouvrit à la volée, battit contre le mur, Montalbano et Fazio sursautèrent, c'était Catarella.
- Il y aurait qu'il y a le prifisseur Cosentino qui dit qu'il faudrait parler avec vous pirsonnellement en pirsonne.
- Fais-le entrer.
Fazio sortit, entra Cosantino.
Une fraction de seconde le commissaire fut désarçonné. Il s'attendait à un type en T-shirt, jean et grosses Nike aux pieds, en fait le professeur portait un complet gris avec une cravate. Il avait même un petit air mélancolique, la tête légèrement penchée sur l'épaule gauche. Mais les yeux malins frétillaient. Sans circonlocutions, Montalbano lui rapporta l'accusation du proviseur et l'avertit que ce n'était pas une affaire sur laquelle on pouvait plaisanter.
- Pourquoi ça ?
- Parce que vous avez deviné que le 13, le proviseur serait victime d'une espèce d'attentat et que c'est ce qui s'est ponctuellement passé.
- Mais, commissaire, s'il est vrai qu'on lui a tiré dessus, comment pouvez-vous penser que moi, j'aurais été assez stupide pour annoncer que je le ferais, et devant vingt témoins ? Autant tirer et m'en aller directement en prison ! Il s'agit d'une malheureuse coïncidence.
- Attention, que votre raisonnement ne tient pas.
- Et pourquoi ?
- Parce que vous auriez pu être non pas assez stupide, mais assez malin pour le dire, le faire, et venir me soutenir que vous n'avez pas pu le faire puisque vous l'avez dit.
- C'est vrai, admit le professeur.
- Alors, qu'est-ce qu'on fait ?
- Mais vous croyez vraiment que je possède des dons de devin, que je suis capable de faire des prédictions ? Au mieux, en ce qui concerne le proviseur, je pourrais faire, comment dire, des "rétro-dictions". Et ça oui, certainement, c'est sûr comme la mort.
- Expliquez-vous.
- Si notre cher proviseur avait vécu durant la période fasciste, vous ne voyez pas quel beau secrétaire de fédération il aurait fait ? De ceux qui portaient l'orbace (Orbace : tissu de laine brute, d'origine sarde, utilisé pour l'uniforme fasciste N.d.T.), avec les guètres et l'oiseau sur le béret, qui sautaient à travers des cercles de feu. Garanti.
- On pourrait parler sérieusement ?
- Commissaire, vous ne connaissez peut-être pas un délicieux roman du XVIIIème siècle qui s'intitule Le Diable amoureux de ...
- Cazotte, dit le commissaire, je l'ai lu.
Le professeur surmonta bien vite un léger étonnement.
- Donc, un soir, Jacques Cazotte, se trouvant avec quelques amis célèbres, en devina exactement la mort. Eh bien ...
- Ecoutez, professeur, moi aussi je la connais cette histoire, je l'ai lue dans Gérard de Nerval.
Le professeur en resta bouche bée.
- Seigneur ! Mais comment faites-vous pour savoir ces choses ?
- En lisant, répéta le commissaire avec brusquerie puis, encore plus sérieux il ajouta : cette affaire n'a ni queue ni tête. Je ne sais même pas si on a tiré sur le proviseur ou si c'était un pétard.
- Un pétard, assura le professeur d'un air méprisant.
- Mais je vous mets formellement en garde. Si d'ici trois mois, il arrive quelque chose au proviseur Tamburello, je vous en tiendrai personnellement responsable.
- Même s'il attrape la grippe ? demanda Antonio Cosentino, nullement effrayé.



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MessageSujet: Re: ça se passe à Vigata   ça se passe à Vigata Icon_minitimeLun 30 Oct 2006 - 12:20

Et en fait, ce qui était écrit qui arriverait arriva.
Le proviseur Tamburello se vexa beaucoup de ce que le commissaire n'ait pas accepté sa plainte et n'ait pas passé les menottes à l'individu, selon lui, responsable. Et il se lança dans une série de faux pas. Au conseil des professeurs suivant, en alternant une mine sévère et celle du martyr, il communiqua à l'auditoire ébahi qu'il avait été victime d'un guet-apens auquel il avait miraculeusement échappé, grâce à l'intercession (dans l'ordre) de la Madone et du Devoir moral dont il était l'infatigable champion. Durant son discours, il ne cessa d'envoyer des coups d'oeil lourds de sous-entendus au professeur Cosentino qui ricanait sans se cacher. Le deuxième faux pas consista à se confier au journaliste Pippo Ragonese, présentateur à Télévigàta qui en voulait au commissaire. Ragonese raconta l'affaire à sa manière, affirma que Montalbano, en n'entamant pas de poursuite contre celui qui lui avait été signalé comme l'exécuteur matériel de l'attentat, se rendait objectivement coupable de complicité de crime. Le résultat fut simple : tandis que Montalbano riait de bon coeur, tout Vigàta en vint à savoir que quelqu'un avait tiré sur le proviseur Tamburello.
Entre autres, en allumant sa télévision à douze heures trente pour le journal, la nouvelle parvint aux oreilles de la conjointe de l'intéressé, qui jusque là était demeurée dans l'ignorance de tout. Ignorant quant à lui qu'à présent sa femme savait, le proviseur se présenta à treize heures trente pour manger. Les voisins étaient tous aux fenêtres et aux balcons pour savourer la suite. Santippe injuria son mari, en l'accusant de lui avoir caché quelque chose, elle le définit comme un con qui se faisait tirer dessus comme n'importe qui, reprocha au tireur inconnu de, littéralement, "tirer comme une merde". Au bout d'une heure de ce tambourinement, les voisins virent le proviseur déguerpir par la porte de l'immeuble, comme un lapin débusqué de son terrier par un furet. Il retourna à l'école, se fit porter un sandwich au bureau.

Vers six heures de l'aprés-midi, comme ils le faisaient toujours, au café Castiglione se réunirent quelques-uns des esprits les plus speculatifs du pays.
- Comme cornard, il se pose un peu là, attaqua le pharmacien Luparello.
- Qui ? Tamburello ou Coentino ? demanda le comptable Presttia.
- Tamburello. Il ne dirige pas l'institut, il le gouverne, c'est une espèce de monarque absolu. Celui qui ne se plie pas à son bon vouloir il le baise. Rappelons-nous que l'an dernier, il a recalé toute la Seconde C parcequ'ils ne se sont pas levés immédiatement lorsqu'il est entré dans la classe.
- Tout à fait vrai, c'est ! s'exclama Tano Pisciotta, commerçant en gros de poissons, et il ajouta, baissant la voix jusqu'à un simple souffle : et n'oublions pas que parmi les jeunes recalés de la Seconce C, il y avait le fils de Giosuè Marchica et la fille de Nenè Gangitano.
Un silence méditatif et inquiet s'installa.
Marchica et Gangitano étaient des pirsonnes de poids, auxquelles on ne pouvait pas faire de mauvaise manière. Et recaler leurs enfants, ce n'était pas une mauvaise manière, peut-être ?
- C'est autre chose qu'une antipathie entre le proviseur et le professeur Cosentino ! Là, oui, la chose est très sérieuse ! conclut Luparello.
Juste à ce moment, le proviseur entra. Ignorant comment le vent commençait à tourner, il prit un siège et s'assit à la table commune, commanda un café.
- Désolé, mais il faut que je rentre à la maison, dit immédiatement le comptable Prestia. Ma femme a un peu de fièvre.
- Moi aussi, je dois y aller, j'attends un coup de fil au bureau, enchaîna Tano Pisciotta.
- Ma femme aussi a la fièvre, assura le pharmacien, qui avait peu d'imagination.
Vire, tourne, en un instant le proviseur se retrouva seul à table. Pour une raison ou une autre, il valait mieux ne pas se montrer en sa compagnie. On risquait que Marchica et Gangitano se méprennent sur l'étendue de leur amitié pour le proviseur Tamburello.




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MessageSujet: Re: ça se passe à Vigata   ça se passe à Vigata Icon_minitimeLun 30 Oct 2006 - 12:21

Un matin, devant Mme Tamburello, qui faisait son marché, se présenta la femme du pharmacien Luparello.
- Que vous êtes courageuse, ma bonne dame ! Moi, à votre place, je me serais enfuie ou j'aurais foutu mon mari dehors, sans perdre de temps.
- Et pourquoi ?
- Comment pourquoi ? Et si ceux-là qui lui ont tiré dessus et qui l'ont manqué décident de ne pas courir de risques et mettent une bombe derrière la porte de votre appartement ?
Le soir même, le proviseur déménagea à l'hötel. Mais l'hypothèse de Mme Luparello fit si bien son chemin que les familles Pappacena et Lococo, qui habitaient sur le même palier, changèrent de logement.
A bout de résistance physique et mentale, le proviseur Tamburello demanda et obtint son transfert. Avant trois mois, il ne fut plus "parmi eux", comme l'avait deviné le professeur Cosentino.

- Vous pouvez me dire quelque chose, par curiosité ? demanda le commissaire. La détonation, c'était quoi ?
- Un pétard, répondit tranquillement Cosentino.
- Et le trou dans la porte ?
- Vous me croirez si je vous dis que ce n'est pas moi qui l'ait fait ? C'est sans doute le hasard ou bien c'est lui-même qui l'a fait pour donner de la consistance à sa plainte contre moi. C'était un homme destiné à se brûler de ses propres mains. Je ne sais pas si vous savez qu'il y a une comédie grecque ou romaine, je ne me souviens pas, qui s'intitule Le punisseur de soi-même, dans laquelle ...
- Je sais seulement une chose, coupa Montalbano, que je ne voudrais pas vous avoir comme ennemi.
Et il était sincère.



FIN
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MessageSujet: ça se passe à Vigata   ça se passe à Vigata Icon_minitimeMar 31 Oct 2006 - 14:33

Une nouvelle entière par jour, c'est un bon rytme
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MessageSujet: Re: ça se passe à Vigata   ça se passe à Vigata Icon_minitimeMer 24 Jan 2007 - 20:07

Being here ...


Quand l'homme entra dans son bureau, Montalbano se crut victime d'une hallucination: le visiteur ressemblait comme deux gouttes d'eau à Harry Truman, l'ex-président des Etats-Unis certainement défunt, tel que le commissaire l'avait toujours vu sur les photographies et les documents d'époque. Le même costume rayé trois-pièces, le même chapeau clair, la même cravate voyante, la même monture de lunettes. Sauf que, à y regarder de près, des différences, il y en avait deux. D'abord, l'homme naviguait vers le cap des quatre-vingts ans, s'il ne l'avait déjà doublé, et il portait excellement son âge. Ensuite, tandis que l'ex-président riait toujours, même quand il ordonnait de jeter une bombe atomique sur Hiroshima, et que celui-là, non seulement ne souriait pas, mais transportait avec lui une petite atmosphère de mélancolie compassée.
- Pardonnez-moi si je vous dérange. Je m'appelle Charles Zuck.
Il parlait un italien livresque, sans accennt dialectal. Ou plutôt, un accent, il l'avait, assez évident.
- Vous êtes américain ? demanda le commissaire en lui faisant signe de s'asseoir sur le siège devant le bureau.
- Je suis citoyen américain, oui.
Très subtile distinction que Montalbano à juste titre interpréta ainsi: je ne suis pas né américain, je le suis devenu.
- Dites moi en quoi je puis vous être utile.
L'homme lui était sympathique. Pas seulement à cause de ce petit air mélancolique, mais il semblait aussi dépaysé, à l'étranger.
- Je suis arrivé à Vigàta voilà trois jours. Je voulais faire une brève visiste. De fait, aprés-demain, j'ai un avion à Palerme pour retourner à Chicago.
Eh bè ? Peut-être qu'avec un autre, Montalbano aurait déjà perdu patience.
- Et quel est votre problème ?
- Que le maire de Vigàta ne me reçoit pas.
Et qu'est-ce qu'il en avait à cirer lui ?
- Ecoutez, vous êtes étranger et, quoique vous parliez un italien parfait, vous ignorez certainement qu'un commissaire de police ne s'occupe pas de ...
- Je vous remercie du compliment, dit Charles Zuck, mais l'italien, je l'ai enseigné aux Etats-Unis pendant des décennies. Je sais très bien que vous n'avez pas le pouvoir d'obliger le maire à me recevoir. Mais vous pouvez essayer de le convaincre.
Pourquoi restait-il à l'écouter avec une patience d'ange ? Pourquoi cet homme éveillait sa curiosité ?
- Je le peux, oui, dit le commissaire, et, voulant excuser le premier citoyen aux yeux d'un étranger, il ajouta : Dans trois jours, c'est les élections. Et notre maire est candidat à un nouveau mandat. Mais c'est son devoir de vous recevoir.
- D'autant plus que moi, je suis, ou plutôt j'étais vigatais.
- Ah, vous êtes donc né ici ? s'étonna, mais, à la réflexion, pas outre mesure, Montalbano.
A vue de nez, estima-t-il, l'homme était né dans les années vingt, quand le port marchait fort et que les étrangers, à Vigàta, on en voyait en veux-tu en voilà.
- Oui.
Charles Zuck marqua une pause, l'atmosphère mélancolique parut se condenser, s'épaissir, ses pupilles se mirent à sauter d'un mur à l'autre de la chambre.
- Et je suis mort ici, dit-il.

La première réaction du commissaire ne fut pas de stupeur, mais de fureur : de fureur contre lui-même pour ne pas avoir compris tout de suite que l'homme était un pauvre fou, un qui n'avait plus toute sa tête. Il décida d'aller chercher un de ses hommes pour le faire jeter hors du commissariat. Il se leva.
- Excusez-moi un instant.
- Je ne suis pas fou, dit l'Américain.
Exactement la réplique attendue, les fous qui soutenaient être sains d'esprit, les perpètes qui se juraient innocents comme le Christ.
- Inutile d'appeler quelqu'un, assura Zuck en se levant à son tour. Et pardonnez-moi de vous avoir fait perdre tout ce temps. Bien le bonjour.
Il lui passa devant en se dirigeant vers la porte. Montalbano en éprouva de la peine, ses quatre-vingts ans, il les faisait maintenant. Le commissaire ne pouvait laisser partir un bonhomme si âgé et, sinon fou, du moins sûrement diminué, en plus d'être étranger : il risquait une mauvaise rencontre.
- Rasseyez-vous.
Charles Zuck obéit.
- Vous avez une pièce d'identité ?
Sans mot dire, l'homme lui tendit son passeport.
Pas de doute : il s'appelait comme il l'avait dit, était né à Vigàta le 6 septembre 1920. Le commissaire lui rendit son document. Ils échangèrent un regard.
- Pourquoi dites-vous que vous êtes mort ?
- Ce n'est pas moi qui le dit, c'est écrit.
- Où ?
- Sur le monument aux morts.
Le monument aux morts, dressé sur une place sur la grand-rue de Vigàta, représentait un soldat poignard levé pour défendre une femme avec un enfant au bras. Le commissaire s'était arrêté quelquefois pour le contempler parce que, à son avis, il s'agissait d'une bonne sculpture. Elle était placée sur une base rectangulaire et, sur le côté le plus en vue, avait été scellée une plaque avec les noms des morts de la guerre de 14-18 auxquels le monument, à l'origine, était dédié. Puis, en 1938, sur le côté droit était apparue une deuxième plaque avec la liste de ceux qui avaient laissé leur peau dans la guerre d'Abyssinie et dans celle d'Espagne. En 1946, à senestre, avait était ajoutée une troisième plaque avec la liste des morts de la guerre 1939-1945. Le quatrième et dernier côté était, pour le moment, vide.
Montalbano fouilla sa mémoire.
- Je ne me souviens pas d'avoir lu votre nom, conclut-il.
- De fait, il n'y a pas de Charles Zuck. En revanche il y a un Carlo Zuccotti, que je suis toujours.

(à suivre)
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MessageSujet: Re: ça se passe à Vigata   ça se passe à Vigata Icon_minitimeJeu 25 Jan 2007 - 19:59

Le vieux savait raconter avec ordre, sobriété et clarté. A faire le résumé des soixante-dix-sept années de son existence, il mit un peu moins d'une dizaine de minutes. Son père, expliqua-t-il, qui s'appelait Evaristo, était de famille milanaise et s'était marié, encore très jeune, avec une de Lecco, Annarita Vismara. Peu après les épousailles, Evaristo, qui était cheminot, fut envoyé à Vigàta qui, à l'époque, avait bien trois gares, dont une réservée au trafic commercial, qui se trouvait juste à l'entrée de la zone portuaire. et ce fut ainsi que Carlo naquit à Vigàta, premier et dernier garçon du couple. A Vigàta, Carlo passa douze ans de sa vie, à étudier d'abord à l'école élémentaire du pays, ensuite au Lycée de Montelusa où il se rendait en car. Puis le père reçut une promotion et fut transféré à Orte. Le fils, ayant fini le lycée dans cette ville, s'inscrivit à l'université de Florence où, entre temps, le père avait été assigné. Un an avant qu'il passe son doctorat, la mère, Mme Annarita mourut.
- Quelles études avez-vous faites ? demanda à ce point Montalbano.
Ce que l'homme lui avait raconté ne lui suffisait pas, il voulait le comprendre davantage.
- Lettres modernes. J'ai étudié avec Giuseppe De Robert, la thèse était sur Les Grâces de Foscolo.
"Chapeau bas", pensa le commissaire, qui était un mordu de littérature.
La guerre avait alors éclaté. Rappelé sous les drapeaux, Carlo fut envoyé combattre en Afrique septentrionale. Au bout de six mois qu'il se trouvait au front, une lettre du département des chemins de fer de Florence l'informa que son père était mort à la suite d'un mitraillage. A présent il était vraiment seul au monde; des parents de ses parents il ne savait même pas le nom. Fait prisonnier par les Américains, il fut envoyé dans un camp du Texas. Il savait bien l'anglais et cela l'aida beaucoup au point d'en faire une espèce d'interprète. Ce fut ainsi qu'il connut Evelyn, fille du responsable administratif du camp. Remis en liberté à la fin de la guerre, il avait épousé Evelyn. En 1947 on lui expédia de Florence, à sa demande, l'attestation de son doctorat. Cela ne servait à rien aux Etats-Unis, mais il recommença à étudier jusqu'à être admis dans l'enseignement. Il obtint la nationalité américaine, changea son nom de Zuccotti en Zuck, adoptant ainsi l'abréviation qu'utilisaient déjà les Américains.
- Pourquoi avez-vous voulu revenir ici ?
- C'est à cela qu'il est le plus difficile de répondre.
Un instant, le vieillard parut perdu dans le labyrinthe de ses souvenirs. Le commissaire garda le silence, en attente.
- La vie des vieux comme moi, commissaire, à un certain moment n'est plus qu'une liste : celle des morts. Qui, peu à peu, deviennent si nombreux qu'il vous semble rester seul dans un désert. Alors vous cherchez désespérément à vous orienter, mais vous n'y réussissez pas toujours.
- Mme Evelyn n'est plus avec vous ?
- Nous avons eu un fils, James. Un seul. Visiblement, ma famille est une famille de fils uniques. Il est tombé au Viêt-nam. Ma femme ne s'en est jamais remise. Et elle est partie retrouver notre fils voilà huit ans.
Encore une fois, Montalbano s'abstint de tout commentaire.

A ce point, le vieux professeur sourit. Un sourire tel qu'à Montalbano, il sembla que le ciel s'était obscurci et qu'une main lui pressait le coeur.
- Quelle vilaine histoire, commissaire. Vilaine dans le sens de laide, du point de vue littéraire, je veux dire, à mi-chemin entre un mélo à la Giacometti, celui de la mort civile, et certaines situations pirandelliennes. Pourquoi j'ai voulu venir ici, vous me demandez ? Je suis venu sur une impulsion. Ici, tout compte fait, j'ai passé le meilleur de mon existence, le meilleur, oui, et seulement parce que je n'avais pas encore connaissance de la douleur.. Ce n'est pas rien vous savez ? Dans ma solitude de Chicago, Vigàta a commencer à briller comme une étoile. Mais à la seconde où j'ai mis les pieds au pays, l'illusion s'est évanouie. C'était un mirage. De mes vieux camarades d'école, je n'en ai pas retrouvé un seul, même la maison où j'ai habité n'existe plus : maintenant il y a un bâtiment de dix étages. Et les trois gares ont été réduites à une seule avec quasiment plus de trafic. Puis j'ai découvert que je figurais sur la plaque du monument aux morts. Je suis allé à l'état-civil. Il y a eu évidemment une erreur de la part du commandement militaire, ils m'ont considéré comme mort.
- Pardonnez ma question, mais vous, en lisant votre nom, qu'est-ce que vous avez éprouvé ?
Le vieux y réfléchit un peu.
- Du regret, dit-il ensuite à voix basse.
- Du regret pour quoi ?
- Que les choses ne se soient pas passées comme il est écrit sur la plaque. Au lieu de quoi, j'ai dû vivre.
- Ecoutez, professeur, certainement, d'ici demain, je vous arrangerai une rencontre avec le maire. Où habitez-vous ?
- A l'hôtel des Trois Pins. C'est hors de Vigàta, chaque fois, je dois prendre un taxi à l'aller et au retour. D'ailleurs, tant qu'on y est, vous m'en appelez un ?


(à suivre)
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MessageSujet: Re: ça se passe à Vigata   ça se passe à Vigata Icon_minitimeVen 26 Jan 2007 - 20:13

Dans l'après-midi, il ne réussit pas à parler avec le maire, qui était pris d'abord par une réunion puis par une tournée au porte à porte. Ce n'est que le lendemain matin qu'on le lui passa. Il lui raconta l'histoire de Carlo Zuccotti, mort vivant. A la fin, le maire rit aux larmes.
- Vous voyez, commissaire ? Notre presque concitoyen Pirandello n'avait pas besoin de beaucoup d'imagination pour s'inventer ses histoires ! Il lui suffisait de transcrire ce qui se passe réellement dans notre coin.
Montalbano, dans l'incapacité de lui balancer une mornifle, décida de ne pas voter pour lui.
- Et vous, commissaire, vous avez une idée de ce qu'il veut de moi ?
- Ah bah , probablement faire changer la plaque.
- Oh Bon Dieu ! se lamenta le maire, ça ferait une belle dépense.

- Professeur ? Le commissaire Montalbano à l'appareil. Le maire vous recevra aujourd'hui à dix-sept heures. Ca vous va ? Comme ça, demain vous pourrez prendre votre avion pour Chicago.
Silence absolu à l'autre bout du fil.
- Professeur, vous m'avez entendu ?
- Oui. Mais cette nuit ...
- Cette nuit ?
- Je suis resté éveillé toute la nuit, à penser à cette plaque. Je vous remercie de votre courtoisie, mais j'ai pris une décision. Je crois que c'est la plus juste.
- C'est-à-dire ?
- Being here ...
Et il raccrocha sans dire au revoir.
Being here : puisque je suis là ...
Le commissaire se leva d'un bond de son siège : dans le couloir il se heurta à Caratella, qu'il repoussa violemment, courut à la voiture, les deux kilomètres qui séparaient Vigàta de l'hôtel des Trois Pins lui en parurent cent, il se rua dans le hall.
- Le professeur Zuccotti ?
- Il n'y a aucun Zuccotti.
- Charles Zuck, crétin.
- Chambre 115, deuxième étage, balbutia le réceptionniste, ahuri.
L'ascenseur était occupé, il grimpa les marches quatre à quatre. Il arriva le souffle court, frappa.
- Professeur ? Ouvrez ! Le commissaire Montalbano, je suis.
- Un instant, répondit la voix tranquille du vieux.
Puis, à l'intérieur, violent, très fort, résonna un coup de feu.
Et Salvo Montalbano sut que le maire de Vigàta n'aurait pas à affronter la dépense d'une nouvelle plaque.



FIN
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