Coin à fables

En allant bosser, l'autre matin, et passant dans une rue calme, mon attention fut attirée par un moineau. Un tout petit moineau. Il était perché sur le faîte d'un portail et me regardait passer avec une attention soutenue. Ça peut pas sourire un moineau, un bec c'est pas assez souple, mais celui là semblait quand même se marrer, se foutre carrément de ma gueule. Je pouvais lire dans son attitude un mépris certain envers les hommes en général et moi en particulier. Son regard semblait dire: "Qu'est-ce que tu fous à t'agiter comme ça ? Pourquoi tu cours résoudre des problèmes qui ne sont pas les tiens ? Regarde un peu, je suis là à me dorer la pilule au soleil, j'attends le moucheron qui passe pour mon petit déjeuner, pas de stress, pas d'énervement, la vraie vie quoi !"

"Bof !" Que je me suis dit ! Je me suis arrêté et je l'ai regardé bien en face. Est-ce qu'une vie de moineau était plus enviable que la mienne ? C'est sur que c'est moins compliqué, plus basique. Pas de palabre, pas de codes de conduite à respecter pour être accepté parmi les siens.
J’étais en train de me justifier auprès d’un moineau. J’ai pas choisi d’être ce que je suis, lui non plus. On est comme la vie vous fait. On avance sur des rails en s’imaginant qu’on a le pouvoir d’arrêter le train, on pense même qu’on à la maîtrise des aiguillages. Ben non ! Pas beaucoup de choix. Des aiguillages, y en a pas. Des freins non plus. C’est pas un train en fait, c’est une barcasse qui dérive au gré des courants d’un long fleuve pas tranquille du tout.

Salaud de moineau, il m’avait gâché ma journée. Je suis reparti déprimé. C’est en arrivant au bout du mur que j’ai vu le chat, planqué sous des feuillages et progressant lentement, très lentement. Ça m’a remonté un peu le moral.

Abu Nuwasi s'était construit une maison avec un étage. Il décida de vivre au rez-de-chaussée et vendit l'étage à un marchand. Quelques années plus tard, il décida de quitter sa maison pour aller vivre dans une ville lointaine.

Il espérait que le marchand qui possédait déjà l'étage accepterait de lui acheter le rez-de-chaussée. Cela permettrait à Abu d'avoir les moyens de construire une nouvelle maison ailleurs. Mais l'avare marchand refusa l'offre d'Abu Nuwasi. Il pensait que is Abu ne trouvait pas d'acheteur, il finirait par partir et lui laisser le reste de la maison gratuitement.

Après un nouvel essai infructueux de négocier la vente de sa maison avec le marchand, Abu partit en ville. Il revint avec une douzaine d'hommes qu'il laissa à l'extérieur alors qu'il montait voir le marchand. "Je suis venu te prévenir que puisque je n'ai pas réussi à vendre ma partie de la maison, j'ai embauché quelques hommes pour m'aider à la détruire. Je tenais simplement à te le dire pour que tu puisses faire le nécessaire pour sauver ta partie."

Il est inutile de préciser que le marchand changea d'avis et décida d'acheter le rez-de-chaussée au prix initial. Abu Nuwasi put alors quitter la ville comme il l'avait prévu.


Fable Kényanne

Encoooooooore....

Le corps beau et le bavard

Maîtresse au corps beau, avance avec un beau sourire affiché,
Elle attirait en ces lieux, un jovial bavard d'un bel âge,
Quand soudain maître bavard par ses appas alléché !
Lui tint, à peu près, ce fort et aimable langage

Mille bonjours ! O belle ! Au corps si beau, sans rire, si vos yeux,
Sont semblables aux étoiles qui luisent dans les cieux
Alors vous êtes la plus belle qui brille au firmament,
Pour moi vous êtes la femme de ma vie ! Maldonne si je mens !

A ces mots la belle au corps beau se sentit pousser des ailes,
Elle succombe à l'instant dans les bras du bavard pas trop sot,
Elle se laisse tomber, elle se pâme, elle est heureuse et elle fait la belle,
En quelques mots elle se donne à celui qui dit de si jolis mots,

Maître bavard tout émoustillé, se saisit d'elle et il la papouille,
Que les hommes sont tendres quand ils nous jouent la fripouille,
Maîtresse au corps beau est contente car l'homme est plaisant,
Il me dit pour la vie, sans doute ce doit être le prince charmant.

Quinze jours ont passé, maître bavard est lassé, et il la laisse tomber.
Maîtresse au corps beau se dit, quelle conne j'ai été de succomber,
Mais elle jura d'éviter les bavards et de recommencer une autre fois,
Moralité, monsieur de la fontaine dit des bêtises dans ses fables parfois.


Victorugueux

Ils viennent de repasser pour la énième fois une énième version du Bossu à la télévision ; c'est une bonne occasion de vous placer cette splendide oeuvre d'Alphonse Allais :

La dame attendait l'autobus.
Le monsieur attendait l'autobus.
Passait un chien noir qui boîtait.
La dame regarde le chien.
Le monsieur regarde le chien.
Et pendant ce temps là l'autobus passa

RAYMOND QUENEAU

Allongée sur son lit, à moitié dévêtue
Elle se roule sur sa couche, innocente, ingénue
Elle git là étendue, rêveuse et endormie
Elle est vraiment très belle, belle comme c'est pas permis
Ses formes façonnent les draps en arabesques folles
Par endroit ils festonnent, en d'autres à sa peau collent
Elle a l'air solitaire au fond de ses draps blancs
Mais ils sont là, près d'elle, attendant discrètement
Ils parcourent son corps, caressent son grain de peau
Se perdent en des recoins, à la foi doux et beaux
Glissent sur son épiderme, se vautrent entre ses seins
Se lovent contre son dos, ou sa chute de rein
De sa grand beauté, ils n'en n'ont rien à faire
S'ils caressent son corps, c'est juste alimentaire
Tout c'qui les intéresse, c'est sa desquamation
Sa peau si douce qui part en lambeau de chiffon
Toutes les nuits, sur son corps, ils font un grand festin
Tous les soirs c'est la teuf, parmi les acariens.


Le bon bonze

Un joli cep bien dodu sommeillait à l'ombre d'un chêne hors d'âge au beau milieu du péage de l'autoroute du soleil à prix d'or. Un hérisson aux faux airs d'oursin, une limace gluante et un bison peu futé roulaient à vive allure dans leur jolie voiture climatisée. L'autoradio de série crachait joyeusement une petite musique inconséquente dans l'habitacle renforcé et les vitres teintées optionnelles les protégeaient du manque d'ozone dans la stratosphère.

Le piquant mammifère conduisait en sifflotant une vieille chanson cochonne, la limace baignait dans son jus à la place du mort et le bison ronflait comme un buffle sur la banquette arrière rabattable. Ils revenaient tous trois d'une fête trop arrosée et leur vivacité d'esprit équivalait à peu près celle d'un oeuf dur-mayonnaise.

La veille, ils avaient beaucoup philosophé et il ne fallait pas trop leur en demander. A part rouler à fond sur le bitume tarifé, rien ne leur était accessible ce jour là... C'est bien triste. Mais c'est comme ça !

Sans le champignon tout aurait pu bien se passer. C'est un fait... Car en l'apercevant, le conducteur hérissé emporté par sa gourmandise pila soudainement pour aller cueillir ce mets exquis. Perdant tout contrôle de son véhicule en raison de sa vitesse excessive et de l'ABS en option qu'il n'avait pas pris, il alla s'emplafonner dans le chêne qui, lui, ne sentit pas grand chose...

La limace éclata en plusieurs morceaux sur le pare-brise mais survécut grâce à un amateur de puzzles. Le bison fut aplati par les siège rabattables à tel point que les sauveteurs le prirent d'abord pour un tapis de sol. Ce qu'il devint effectivement par la suite... Le hérisson fut retrouvé planté dans le volant entouré d'un sac plastique explosé. Il ne dut son salut qu' à la présence d'un acupuncteur patient mais il ressemble aujourd'hui à une huître.

Comme quoi, l'Air-Bag ça vaut pas l'ABS quand t'es un hérisson...

Laurent Potelle

Attention, celle-là j'aurais pu la mettre dans le fil des jeux de mots.

un viel escargot se promenait avec un jeune ami.Sur le chemin un arbre les obligea à contourner l'obstacle. Le jeune vira à droite. quant au vieux il décida de passer dessous, persuadé que l'espace était suffisant vu sa petite taille. La suite nous prouva qu'il eut tort...

moralité : coquille âgée crut s'tasser

En chemin pour la cour de Tamerlan, Mollah Nasruddine s'arrêta dans une petite oasis du nom de Ohria. Comme il avait très faim, mais que, par malheur, il ne disposait pas de la moindre monnaie d'échange, Nasruddine décida de gagner son repas. S'installant sur la place du marché, au beau milieu des paniers de fruits dorés, des jarres d'huile d'olive et des kebabs en train de rissoler, dressé fièrement sur son âne immobile, il se mit à haranguer la foule : «Pour quelques piécettes, le grand Mollah Nasruddine, conseiller en spiritualité du terrible et puissant Tamerlan, daignera ici même, sous vos yeux, susciter un prodige.»

Aussitôt, un cercle se forma autour de lui et la plus grande partie des gens présents sur la place se rapprocha. Le marché était bien calme, tous en connaissaient dans le détail le moindre article, la plus petite attraction. Aussi cette nouveauté était-elle bienvenue, même si celui qui venait de s'exprimer ne payait pas de mine.


Il y eut pourtant une ou deux personnes pour s'étonner de la modicité des exigences d'un grand conseiller de Tamerlan. Nasruddine cita alors les Haddiths, dans lesquels figure explicitement la nécessité d'une contrepartie, fût-elle minime, pour tout don. «Bien sûr, je n'ai pas besoin de cet argent! C'est pourquoi je me contenterai de peu, mais ce qu'exige la tradition doit être respecté, c'est pourquoi j'accepterai votre offrande en retour.»

Une quête s'improvisa rapidement, après que le Mollah ait tendu à l'un des premiers spectateurs la toque de laine marquée par l'usure qu'il avait sur la tête. La collecte effectuée, Nasruddine fit un geste pour réclamer le silence, et il prit la parole. «Nobles habitants d'Ohria, je vais ici même vous montrer ce que peut la force de la pensée. Voyez cette barre de métal de plus de deux mètres de long et d'au moins un pouce de large qui tient l'enseigne du forgeron entre ces deux colonnes, à plus de trente pas de moi. Par le seul usage de la puissance de mon esprit, je vais la courber telle la coupole d'un minaret, ou la partie haute du soleil.»

Aussitôt, dans la foule, des voix fusèrent : «Tu te moques de nous, vieillard! Chacun sait qu'un tel prodige n'est pas à la portée d'un homme! Charlatan! passe ton chemin, nous ne sommes pas de l'espèce des naïfs qui croient encore aux contes pour enfants!»

Sans se laisser démonter par ces remarques, qu'un autre aurait jugées blessantes, Nasruddine poursuivit : «Dès que le silence propre à la concentration spirituelle régnera sur cette place, vous verrez l'esprit de l'homme à l'oeuvre.» Comme la mer sur laquelle on aurait jeté de l'huile, la foule s'immobilisa. Tous se turent, chacun se figea, même si le doute demeurait aussi perceptible que la présence du soleil au-dessus des têtes. À la demande du Mollah, quelqu'un jeta un voile entre les deux colonnes afin de dissimuler la barre de métal, puis Nasruddine posa les mains sur ses yeux, penchant légèrement la tête en arrière, et ses lèvres laissèrent échapper une mélopée lancinante dans laquelle une courte phrase revenait de façon irrégulière, où il était question du ciel, ainsi que des forces retenues dans les entrailles de la terre et que l'esprit de l'homme pieux pouvait libérer et diriger. Soudain, Nasruddine se tut. Un silence de pierre s'étendit sur la foule.

Sous l'ordre du Mollah, on retira le voile. La surprise fut double. La barre s'était effectivement courbée. Mais, contrairement à la prédiction de Nasruddine, elle formait un demi-cercle à la concavité tournée vers le haut, telle la partie basse du soleil. Quelqu'un osa alors lancer : «Charlatan, tu n'es qu'un charlatan! Rends-nous notre argent, rien ne s'est passé comme tu l'avais annoncé!»

Sans se laisser impressionner par cet éclat, Nasruddine descendit de son âne et déclama d'une voix musicale : «Mais comment aurais-je pu tordre cette barre d'au moins vingt livres dans le sens annoncé, quand l'esprit plein de doute de mille personnes se tendait pour s'opposer à cette action? J'ai dit que j'allais montrer la force de la pensée, et c'est bien ce que j'ai fait, en vous laissant désirer de me voir échouer. Grâce à moi, vous avez vu aujourd'hui ce que peut accomplir la volonté de l'homme, pour peu qu'un sage parvienne à la guider.»

Un murmure favorable se fit entendre d'un bout à l'autre du marché. Et ce jour-là, Nasruddine mangea à sa faim et étancha largement sa soif.