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 Un taxi la nuit.

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Diane
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Diane


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MessageSujet: Un taxi la nuit.   Un taxi la nuit. Icon_minitimeJeu 12 Avr 2007 - 18:33

Pierre Léon qui est chauffeur de taxi de nuit a Montréal a décidé de faire un blog.
Il a été remarqué par la qualité de ses écrits et un éditeur lui a demandé de faire un livre de ses chroniques.


Je trouve que ses écrits reflètent tellement la vie de nuit de Montréal dans sa simplicité, dans sa complexitude aussi, dans sa tristesse et sa joie.

Aussi j'en livrerai des brides parfois ici.

Des peaux de nuit - L'écumeur des vides
Au fil des nuits, Montréal se peuple d'une faune étrange.


Participant et témoin de cet environnement hétéroclite, je vais tel le taxidermiste, figer de temps à autre avec mes mots, ces peaux de nuits. Ces âmes errantes qui défilent dans Montréal, qui en peuplent à la fois les rues et mon imaginaire.

-ooooooo0000000OOOOOOOOOOOOOO00000000oooooooo-

Il ne se passe pas beaucoup de nuits sans que j'aperçoive cet homme déambuler dans les rues de la ville. Inlassablement, il marche, marche et marche encore. Il porte en bandoulière un grand sac de sport qui donne à sa cadence une claudication peu banale. Il marche seul, la tête baissée vers le trottoir et va de poubelle en poubelle pour emplir son sac de bouteilles et de canettes vides. Ça fait bientôt quinze ans que je le vois écumer Montréal avec son sac. Nuit après nuit, il arpente minutieusement été comme hiver, beau temps, mauvais temps, la "Catherine", la "Main" et la Saint-Denis. Une routine peu banale faite de pas et de cinq cennes.

Parfois je m'arrête près de lui pour lui tendre une bouteille vide que j'accompagne de quelques pièces. Il me remercie d'un signe de tête, mais jamais je n'ai entendu sa voix. Dans son regard hagard, on y voit quand même des yeux qui sont loin d'être éteints. Dieu sait ce qui lui passe par la tête. Il rêve peut-être qu'il navigue en solitaire sur les océans du monde allant d'île en île cherchant des messages dans des bouteilles que les vagues y auraient déposées. Peut-être marche-t-il pour oublier...

J'essaie en vain de calculer le nombre de kilomètres qu'il a accumulé dans son vagabondage. Du nombre de paires d'espadrilles qu'il a traversé. J'aime penser qu'à force de fouiller comme ça dans chaque poubelle qu'il croise, qu'il détient une sorte de connaissance intime de l'humain. De ce qui en reste. J'aime penser qu'il est le dépositaire d'un savoir unique acquis par son errance. J'aime penser que cette routine qu'il s'impose est le prix à payer pour ne pas se faire avaler par la normalité. Le prix à payer pour préserver sa liberté. J'aime à penser que cet homme est un grand poète et que la nuit où il disparaîtra des rues de la ville, je crois qu'elle perdra un de ses plus dignes représentants.

Sources:http://taxidenuit.blogspot.com/


Dernière édition par le Jeu 12 Avr 2007 - 18:43, édité 1 fois
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Diane
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MessageSujet: Re: Un taxi la nuit.   Un taxi la nuit. Icon_minitimeJeu 12 Avr 2007 - 18:37

Ahhhhhh gadoueeeeeeeeee.

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Diane
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MessageSujet: Re: Un taxi la nuit.   Un taxi la nuit. Icon_minitimeJeu 12 Avr 2007 - 18:42

3.4.07
Rage du printemps
La Mustang me colle au cul dangereusement. Il tente de me dépasser en vain depuis un bon cinq minutes. Je garde ma ligne, accélère aux bons endroits et je l'observe salement s'énerver. Tout ça parce que je l'ai dépassé par la droite sur une lumière qui changeait.

Il est trois heures moins quart, le rush du samedi bat son plein et je n'ai pas de temps à perdre. J'ai une cliente à bord qui ne se rend pas compte de l'abruti qui me suit. Je garde mon sang-froid en descendant la côte Atwater. L'autre me colle encore de plus en plus. Ça me démange de lui "crisser les brakes" mais ce n'est pas le genre de manoeuvres que je fais quand j'ai des passagers.

À la lumière au coin de Sherbrooke, il s'arrête à côté de moi et ouvre sa fenêtre. Il a l'air fou furieux et la femme assise à côté de lui a l'air folle tout court. Une espèce de décolorée trop maquillée. Lui a le crâne rasé et j'imagine qu'on doit éprouver de la crainte en sa présence. Moi je reste calme, je soutiens son regard et j'ouvre même ma fenêtre pour écouter un peu ce qu'il a à me dire.

— Espèce de trou de merde, descends! Enculé! Tu vas descendre oui!

Ah tiens! Un français qui se la joue loubard! Ma cliente semble se demander ce qu'il me veut le cousin. Je ne dis toujours rien, mais j'opine du bonnet en voulant dire : "Ben oui c'est ça le crétin, continues de japper". Plus je reste calme plus l'autre s'énerve. Ça me tente deux secondes de sortir mon appareil pour lui croquer le portrait, mais ça ne serait que de mettre de l'huile sur un feu déjà pas mal allumé. Le gars ouvre sa portière pour sortir de sa Mustang, mais la lumière change et je suis déjà parti. Il se remet à ma poursuite et continue son manège. Curieusement ma cliente n'a vraiment pas l'air de s'en faire. Je ne sais pas si c'est parce qu'elle est trop faite ou parce qu'elle en a vu d'autres. Probablement les deux.

Moi je commence à stresser parce que l'autre n'a pas l'air d'avoir le goût de me lâcher. En descendant vers le sud toujours sur Atwater, je brûle quelques jaunes forçant l'autre à passer sur des rouges. Au coin de René-Levesque, il vient encore une fois s'installer à côté de moi, encore plus énervé qu'avant. À vue de nez, je dirais qu'il s'est empourpré un brin le cousin.

— Espèce de trou de merde, descends! DESCENDS!

Je soutiens toujours son regard en faisant non de la tête. Je trouve qu'il manque un peu de vocabulaire. Il fait mine de mettre la main dans son blouson comme s'il prenait une arme. Je ne peux faire autrement qu'esquisser un sourire en repartant sur les chapeaux de roues. Je sens l'adrénaline monter et mon coeur bat plus vite, mais j'essaie de rester calme ne serait-ce que pour rassurer ma passagère qui n'a rien fait pour mériter ça.

En ce qui me concerne, c'est mon lot hebdomadaire. Y'a toujours un imbécile, un moment donné qui va venir me faire chier de cette façon une soirée ou une autre. Les soirs de pleine lune, on dirait que c'est pire. Je ne sais pas si ces types regardent trop de films épais comme "The Fast and the Furious" ou quelques autres navets dans le genre, mais plus ça va, plus ça empire. Avec le beau temps qui revient, va falloir que je me frotte avec ces chauffeurs de plus en plus souvent.

En descendant vers le tunnel Atwater qui mène à Verdun les feux sont bien synchronisés jusqu'à Notre-Dame. Je vois la Mustang accélérer pour venir me passer sur la gauche. Je dis à ma cliente de bien se tenir après la banquette. Juste quand le gars me dépasse, je freine un bon coup et tourne à droite sur Workman la rue juste avant Notre-Dame. La Mustang n'a pas le temps de réagir et continue tout droit. Je contourne le bloc en faisant gauche, gauche et ralentis un peu pour voir si mon poursuivant est toujours dans les parages. En arrivant sur le coin, je vois alors la Mustang en direction nord sur Atwater. Dans son sillage, une voiture blanche et bleue à gyrophares...
Un virage en U au mauvais endroit.

Ma passagère jubile et mettons que ça me démange en maudit d'aller passer à côté de l'enragé pour lui faire un petit sourire amical et voir quelle couleur il a pris. Mais le rush du samedi n'est pas encore fini et j'ai encore d'autres courses à me taper avant que le jour se lève.
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EDEN
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MessageSujet: Re: Un taxi la nuit.   Un taxi la nuit. Icon_minitimeVen 13 Avr 2007 - 9:32

Super ! à lire dès le matin après le trajet maison-boulot en voiture : 45mn de route et pas toujours cool ! alors evidement ,être taxi et qui plus est, la nuit , on peut s'attendre à beaucoup d'aventures et mésaventures ; d'agréables lectures en vue , merci Diane
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Diane
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MessageSujet: Re: Un taxi la nuit.   Un taxi la nuit. Icon_minitimeSam 14 Avr 2007 - 2:04

Merci Eden.


Pink-Punk

La première fois que je l’ai vu, il devait bien faire facilement 25 degrés sous zéro. C’était un soir de semaine, et le froid faisait en sorte, qu’il n’y avait pas grand monde dans les rues. Je rôdais autour du terminus, quand j’ai aperçu ce petit bout d’être, flâner sur un coin. Elle n’était vêtue que d’un kangourou et d’un coupe-vent. Pas de tuque, pas de mitaines, pas du tout l’allure d’une fille qui se cherche un client, juste quelqu’un qui n’a pas l’air d’être à sa place. Surtout pas dans ce froid. Elle capta mon regard et j’arrêtai mon taxi à sa hauteur. J’ai ouvert la fenêtre de l’auto pour lui demander si ça allait.
Elle grelotait et les mots ne semblaient pas vouloir sortir de son visage gelé. Elle faisait pitié à voir. Je lui ai fait signe de monter à bord et elle ne s’est pas fait prier. J’ai monté le chauffage et me suis mis à rouler.
Tellement vulnérable, tellement fragile, elle avait l’air d’un enfant. Le visage caché dans le capuchon de son kangourou, elle restait muette aux questions que je lui posais. Son silence m’en disait beaucoup plus que j‘aurais voulu savoir. Me taisant à mon tour, elle se tourna alors vers moi. Jamais je n’oublierai son visage à ce moment là. Rougie par le froid, sa face mettait en évidence l’émeraude des ses yeux, cernés par les poils de ses cils givrés.
Son regard et son attitude me racontait une histoire banale qui se reproduit à tellement d’exemplaires, qu’on n’y fait plus attention. Le parcours d’une jeune ado qui a déserté la maison familiale pour se retrouver au terminus Voyageur. Elle quittait un père violent, probablement incestueux, elle quittait une mère soumise, involontairement complice. Ailleurs ne pouvait pas être pire. Elle n’avait plus grand-chose à perdre, n’avait plus de comptes à rendre, sans confiance pour personne, la rue devenait son refuge.
J’ai vite compris, qu’au-delà de ces quelques minutes au chaud, je ne pourrais rien pour elle. Je l’ai ramené au Dunkin’Donuts près du terminus en lui filant quelques dollars. De quoi se payer quelques cafés, le temps que la nuit passe.

Je suis retombé sur elle l’été suivant. En descendant Saint-Denis, je l’ai aperçue au coin de Marie-Anne un «squeegee» dans une main et l’autre tendue. J’ai fais le tour du bloc et me suis garé pas très loin. Je suis allé m’asseoir à la pizzeria faisant l’angle, pour pouvoir l’observer à travers la vitrine. Elle s’était fait teindre les cheveux roses. La même couleur que ses collants et son t-shirt déchirés. C’est à ce moment que je l’ai baptisé Pink-Punk. Ça lui collait bien. Je l’ai regardée pendant presqu’une demi-heure, danser entre les voitures et les passants sur le trottoir. Elle faisait ça avec enthousiasme, en souriant à ceux qui lui donnaient un peu de change. À la voir aller, elle semblait avoir bien apprivoisé la rue. J’ai fini ma pointe et quand je suis sorti du restaurant, Pink-Punk s’est approché de moi en me tendant la main. J’ai mis la mienne dans ma poche en prenant bien mon temps, question d’apprécier son sourire et ses magnifiques yeux verts.
Je me suis abstenu de lui parler de notre première rencontre, en fait je ne lui ai que rendu son sourire en même temps qu’une poignée de change. Avant de se tourner vers un autre piéton, elle m’a rapidement remercié et quelque part dans son regard j’ai pensé qu’elle avait peut-être réussi à se trouver une petite place au soleil.

Le temps a passé et le souvenir de Pink-Punk s’est peu à peu estompé. A force de côtoyer les gens de la rue, on en vient inexorablement à perdre son humanité. Une façon de se protéger quelque part. Avec les années, des punks, des pauvres, des drogués, des perdus, j’en ai vu passer des nuées pendant mes nuits. Chacun traînant leurs pathétiques karmas.
Chacun à la recherche d’un bonheur de remplacement. Un bonheur bien éphémère qui se vend au gramme. Du bonheur en poudre.
Je me demande, jusqu’à quel point, j’ai été surpris de revoir Pink-Punk, quelques années plus tard faisant le trottoir, sur la rue Ontario. Elle avait perdu son sourire, son regard s’était éteint. Faire la manche ne tenait plus la route, c’est sur le trottoir qu’elle y laissait sa peau.

Je ne l’ai jamais revu depuis.
envoyé par Pierre-Leon à 4:23 AM
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MessageSujet: Re: Un taxi la nuit.   Un taxi la nuit. Icon_minitimeSam 14 Avr 2007 - 2:05

LE VIEUX

Je stoppe le taxi à la hauteur d'un jeune noir qui tient une main garnie de bagues dorées au dessus d'une casquette des "White Sox" qu'il porte à l'envers. D'un geste il me demande d'ouvrir ma fenêtre et me montre dans le même élan, un vieux clochard assis en retrait dans les marches d'un triplex décrépit.

Le vieillard a le regard vide de quelqu'un qui ne voit plus et probablement de quelqu'un qui en a trop vu. Il a aussi le sourire béat de quelqu'un qui a trop bu. Je coupe le contact, sort du véhicule et avec le jeune, j'aide à lever le vieux qui malgré le temps frais ne porte qu' haillons. Avec ce qu'il a dans le nez, l'équilibre de l'ancêtre n'est plus à son meilleur au dessus de ses vieilles semelles compensées.

Lentement on l'amène jusqu'au taxi. Le black le tient par un bras, je le tiens par l'autre. Le vieil enivré rigole dans sa barbe en me répétant qu'il a de quoi payer. Je le rassure que tout est ok. J'ouvre la portière et le kid l'aide à s'asseoir pendant que je tiens sa vieille canne enrubannée de "gaffer tape" gris. Je referme la porte derrière lui et je retourne derrière mon volant après avoir salué d'un signe de tête le kid qui déjà s'éloigne en se dandinant.

Le vieil infirme qui sent le rance et la mauvaise gnôle me demande de l'amener à deux pas de là. Un marathon dans son cas. Dans mon rétroviseur j'observe l'homme qui a toujours un sourire qui lui fend le visage. Un face emplie de vécu et de misère. On dirait que chaque ride a sa petite histoire.

Comme avec presque tout mes clients je lui demande comment s'est passée sa veillée. Je l'écoute me parler avec un accent typiquement irlandais d'une fête avec des vieux amis, d'un bon souper chaud, d'une couple de "petites frettes" et d'un gros gâteau au chocolat.

- How'da you say cake in french?

- Un gâteau!

- That's it ! Une gwos gawtow à la chocolate! Qu'il me traduit avec un presque fou rire dans la voix.


Le trajet me prend à peine trois minutes à compléter. À l'intersection demandée, je recoupe le contact et sort du taxi pour aider le vieux à s'extirper de l'auto. Dans l'intervalle, il s'est mis à farfouiller dans les poches de son pantalon pour en sortir une poignée de pièces poisseuses. Mais dès le départ mon idée était faite. C'était hors de question que je le fasse payer pour cette course.

- Put that back in your pocket old man, the ride's on me!

Le vieux aurait gagné à la loterie qu'il n'aurait pas réagit autrement. Je présume que l'alcool faussait la donne, mais c'est presque les larmes aux yeux qu'il m'a remercié en s'appuyant à ma main pour grimper sur le trottoir. Une fois sur ce dernier il s'est jeté dans mes bras et m'a donné l'accolade.
Gêné et ému à mon tour, je l'ai serré un peu, mais pas trop, sentant la fragilité de cet être sur ses derniers milles. Pas besoin d'avoir fait sa médecine pour savoir que la route achevait pour ce vieux guenilloux.

Avoir eu le temps, je l'aurais volontiers remonté avec lui. Nos chemins ne se sont que croisés, mais me fiant à l'aura de son coeur, j'aurais fait fi de l'odeur de son corps et on aurait roulé. Il m'aurait raconté ses rides, je lui aurais montré Montréal par mes mots. On aurait roulé jusqu'à la fin de la nuit.
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MessageSujet: Re: Un taxi la nuit.   Un taxi la nuit. Icon_minitimeLun 16 Avr 2007 - 18:26

Tragédie en deux temps
Sur Saint-Laurent au nord de Villeneuve, les lumières sont bien synchronisées et ça roule à bonne vitesse. Le "stretch" qui va jusqu'à la rue Bernard peut être assez intense quand deux taxis décident de tenir leur bout pour rester l'un en avant de l'autre. Je roule côte à côte avec un confrère en restant à sa hauteur. Quand je sens qu'il accélère, je fais de même pour protéger ma voie. Je suis dans celle de gauche où se trouve au nord de Fairmount une série de bars. Je roule du bon côté quoi. Je le sais, il le sait et la vitesse s'intensifie. Rien d'extraordinaire, une saine compétition dirons-nous. Juste une autre soirée de travail.

Quand nous arrivons tout près de Saint-Viateur, la lumière est verte mais une série de véhicules y sont encore arrêtés. Je décélère car devant moi un gros 4X4 me bloque la vue et la voie. Mon confrère de son côté arrive à l'intersection et passe dans une brèche entre deux autos qui ne bougent toujours pas. Je me mets tout de suite derrière lui pour continuer notre petite course, c'est alors que je l'aperçois.

La fille est à genoux en plein milieu du boulevard St-Laurent. Elle s'est vautrée là, dans une immense flaque de "sloche" froide et elle pleure à chaudes larmes. Je m'immobilise à sa hauteur pour voir ce qui se passe exactement et empêche ainsi les véhicules qui me suivent de la frôler de trop proche comme vient de faire mon « collègue » qui a poursuivi son chemin.

Au premier coup d'œil, la fille est salement intoxiquée. Du véhicule stoppé devant moi sortent deux jeunes hommes pour venir lui porter secours. La fille continue de pleurer comme une madeleine et n’étouffe même pas les sanglots qui l’agitent. Je lui demande si elle a besoin d’une ambulance, de la police. Ça semble la sortir de sa torpeur douloureuse et elle se lève pour se diriger vers le trottoir. Ça me rassure sur son état physique. Quant à son état moral…

Hors de danger et entourée de gens lui portant assistance, j’ai poursuivi mon chemin avec son visage grimaçant en tête. J’essayais d’imaginer quelle sorte de tragédie avait bien pu se passer dans sa soirée pour qu’elle en arrive à se foutre comme ça dans le milieu du boulevard. Pourquoi elle souffrait tant. J’y ai pensé, puis les clients se sont succédé et peu à peu, elle m’est sortie de la tête. C’est triste mais c’est comme ça. A force de côtoyer la misère des autres, on en vient à perdre tranquillement et sournoisement son humanité. C’est peut-être aussi juste une façon de se protéger. S’il faudrait que j’arrête le taxi à chaque fois qu’une âme en peine se présente, je ne travaillerais pas fort, fort…

Plus tard dans la soirée, le souvenir du visage en pleurs de la fille m’est revenu alors que je repassais à la même intersection. Alors que j’y allais de nouveau dans des suppositions expliquant son mal de vivre, j’ai aperçu un couple un peu plus loin sur le parvis du « Syndrome » un bar au coin de Bernard. Une fois à bord ils m’indiquent leur destination et se mettent à jaser entre eux du déroulement respectif de leurs soirées. Un moment donné, ils discutent d’une de leurs amies, partie plus tôt, complètement paf. Tout de suite j’ai le sentiment qu’ils parlent de la fille du milieu du boulevard. Je leur demande alors :

- La fille dont vous parlez a les cheveux roux, assez maigre, un piercing dans la lèvre du haut et elle porte un coat de cuir rouge?

- Ouain c’est elle, tu l’as vu où exactement? Me demande le gars. Un « gothique » aux yeux maquillés de noir.

- Euh..!? Ben pour être franc elle était dans le milieu du boulevard Saint-Laurent à un coin de rue du bar où vous étiez. Elle n’avait vraiment pas l’air de filer bien.

La fille qui semble complètement exsangue me répond alors :

- Bah! Faut pas vous inquiéter. Elle fait ça à chaque fois qu’elle prend un coup. Genre à toute les fins de semaine.

- Ah bon? Pis ça vous fait pas peur qu’elle finisse par se faire frapper votre chum?

- Elle cherche juste à faire son show. On est habitué astheure. Ça fait comme 25 fois qu’elle nous fait le coup qu’elle va se suicider, faique on vient qu’on fait pu trop trop attention. Genre.

- Pis comment allez vous réagir, quand elle va se tuer pour de bon?

- Ça va nous faire chier genre, parce qu’elle nous doit pas mal de cash!

Les deux « goths » se sont esclaffés comme de vrais clowns.
J'ai eu une méchante envie de les lâcher en plein milieu du boulevard. Ou sur le Métropolitain tiens.

Pour la peine…
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Luciole
On ne peut plus m'arrêter
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MessageSujet: Re: Un taxi la nuit.   Un taxi la nuit. Icon_minitimeLun 16 Avr 2007 - 19:45

Merci Diane pour ces aventures passionnantes !
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MessageSujet: sympa   Un taxi la nuit. Icon_minitimeLun 16 Avr 2007 - 22:45

bonsoir

merci pour ces petites histoires, je suis allé sur le blog sympa

j adore vos expressions
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MessageSujet: Re: Un taxi la nuit.   Un taxi la nuit. Icon_minitime

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