Dandy
- Je suis raciste, mais dans le bon sens du terme.
Je n'ai jamais approuvé la violence, la destruction des synagogues, des mosquées, ni même le boycott des produits venus du Japon ou de Chine. Je suis scandalisé par la traite des Noirs, et aussi par la colonisation, cette entreprise aventureuse menée à l'instigation des philanthropes illuminés qui ridiculise notre histoire. Je ne crois pas non plus à l'inégalité des races, des cultures, et j'ai la ferme conviction que toutes les langues se valent.
- Mon racisme est plus élégant.
Je suis jeune, et même un peu dandy. Ma haine va aux personnes âgées, ces fins de race, qui, au lieu d'être en voie d'extinction, comme on pourrait le croire en jetant un regard amusé sur la liste des convois funèbres, ne cessent de renaître de leurs cendres et de se propager comme si elles avaient découvert un funeste secret qui leur permette de se reproduire à la vitesse des lapins ou des fourmis.
- Cette immigration intérieure est d'une invraisemblable sauvagerie.
On dirait que venus du centre de la Terre, les vieux se fraient un chemin à travers les égouts, et s'organisent par paquets pour soulever les plaques de fonte et envahir nos rues. A moins, qu'utilisant les canalisations ils ne surgissent dans nos salles de bains en faisant sauter la bonde des lavabos, ou nous envoient valser dans les airs comme un fétu, en surgissant au moment où nous sommes essis sur le siège des chiottes.
Au lieu de traiter l'Occident avec un produit spécifique, qui, tout en étant d'un parfaite innocuité pour la jeunesse, les éliminerait à intervalles réguliers, nous assurons leur protection, allant jusqu'à leur prodiguer des soins coûteux comme à des animaux de compagnie, et presque comme à des prématurés en perdition.On les loge dans des appartements parfois immenses où ils peuvent trotter à leur aise, tandis que la jeunesse est comprimée entre des murs si étroits qu'elle a du mal à remuer suffisamment pour mener à bien un coït et reproduire l'espèce. On leur verse également une rente en échange de leur oisiveté absolue, de leur parasitisme, et de leur laideur. On va jusqu'à les enterrer, au lieu de les jeter dans un sac-poubelle avec le reste des ordures ménagères.
Un Occident progressiste, vraiment moderne, devrait unir ses forces pour éradiquer la vieillesse. N'espérez pas qu'un changement climatique nous en débarrasse, cette engeance possède des facultés d'adaptation, de mutation, tout à fait comparable à celle des virus les plus sournois. Quand la Terre sera nettoyée, nous connaîtrons enfin le bonheur. Mon racisme est celui d'un sage, d'un humaniste.
Méfiez-vous des vicieux qui aiment les vieux.
Voici une des 500 microfictions que Régis Jauffret a fait figurer dans son bouquin de 1025 pages. Ca se lit à toute vitesse, mais il ne faut pas mettre ces nouvelles dans les mains de n'importe qui, il faut avoir une bonne santé mentale, être bien dans sa tête et être capable de recul.