J'étais dans un quartier pauvre de Kaboul, dans une sorte de foyer-école pour jeunes des rues, "Afghanistan Demain", une ONG tenue par un type remarquable, Ehsan, quand j'ai vu arriver un gros pick-up blindé suivi d'un camion.
Du gros 4x4 s'est extirpé un américain. Caricatural. Treillis sable, le cheveu bien peigné sur les oreilles, pistolet à la ceinture avec un écusson doré dessus. Sur ses talons : un "Private Security", M 16, gilet pare-balles, lunettes de soleil et casquette base ball.
L'Américain gesticulait pour que nous poussions nos voitures, il voulait faire passer son camion.
Je me suis dit qu'avec des manières comme ça, il n'allait pas se faire d'amis dans le quartier.
J'avais tort.
L'américain a garé son camion devant l'école, il a ouvert la porte arrière. Il avait des trésors dedans, des cahiers et des meubles scolaires rafistolés. Il les a déchargé avec l'aide des gars de l'ONG.
Il est venu me voir et m'a demandé un peu gêné de ne pas le filmer. Il avait un regard de mec bien (ne me demandez pas de quoi c'est fait mais je peux vous jurer que ça se reconnait).
"Je voudrais pas qu'ils aient des ennuis parce qu'ils ont des contacts avec un américain.
- Vous êtes qui, j'avais demandé ? USAID, le gouvernement américain ?
- Oui, je suis du gouvernement, mais je ne suis pas là à ce titre là... Officiellement, je ne suis pas là du tout même... J'aime bien ces gosses. Je leur débrouille des petits trucs. J'ai pas de budget mais on ramasse des trucs à droite à gauche et puis on leur ramène.
En fait, l'Américain livrait du matériel scolaire de récupération sans aucun ordre de mission. De son propre chef. De la perruque humanitaire qui ne coûtait pas un rond dans un pays où l'argent versé dans des projets d'aide semi-bidons fuyait par tous les trous et fausses factures possibles.
L'Américain, sa vraie mission c'était d'organiser la police de la circulation (A Kaboul, bon courage...). Deux ans qu'il était là.
Il s'est mis à visiter les écoles, il a vu le dénouement et l'incroyable détermination de ces gosses, la paralysie des pays donateurs, malgré la communication rayonnante.
Alors -Yes we can- il a commencé à faire un peu de travail au noir humanitaire.
Une sorte de complot bienveillant, sans paperasse. Avec la complicité bienveillante du private security qui n'avait rien à faire là non plus.
Ils sont repartis comme le père Noël avec leur gros camion. Ils avaient quelques vieilles chaises à livrer dans une autre école.
Les guerres et les hommes sont souvent compliqués.
Heureusement.
Paul Moreira