ON CAUSE
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

ON CAUSE

Histoire de bavarder par écrit
 
AccueilPortailConnexionDernières imagesS'enregistrerRechercher
Le Deal du moment :
SAMSUNG Galaxy A14 5G Noir 64 Go à 98,49€
Voir le deal
96.99 €

 

 Train-train

Aller en bas 
4 participants
AuteurMessage
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Train-train   Train-train Icon_minitimeLun 2 Oct 2006 - 20:18

Je revenais de Conflans-Sainte-Honorine, et il était 21 h 30 à ma montre. Quand la police m'interrogera, cet indice aura son importance, je suppose.

De prime abord, ce dimanche soir aurait pu être semblable à tous les autres, si mon esprit chevaleresque ne m'avait dicté une conduite absurde. Probablement les restes de romantisme mal digéré.
Le wagon pouvait contenir, au jugé, soixante personnes. Cela représente une foule capable de retourner une situation en sa faveur, si la révolte se conjugue avec l'instinct de légitime défense, quels que soient les adversaires. Hélas, nous n'étions que huit voyageurs, ce qui divisait par dix la probabilité d'échapper à mon destin. Si l'on décompte la jeune fille objet de l'agression, il en restait sept. Moins le vieil ivrogne qui n'arrêtait pas de vomir dans sa casquette et l'aveugle cramponné à la laisse de son chien, restaient cinq voyageurs susceptibles de réagir. Deux avaient le nez collé sur un journal dont ils lisaient obstinément la même page, au point de pouvoir la réciter par coeur jusqu'à la fin de leurs jours.
Un autre regardait fixement par la fenêtre qui lui renvoyait le reflet de sa lâcheté. Le quatrième s'était enfermé dans les toilettes, probablement victime d'une dysenterie tropicale. Le destin m'a donc pris par les épaules.

Tu vas laisser une jeune fille se faire violer devant tes yeux sans réagir ?
Mais ils sont trois !
Et alors ? Que représentent trois petites frappes minables devant un chevalier des temps modernes ?

... (à suivre)


...
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
babeth
Je tchatche
Je tchatche
babeth


Nombre de messages : 512
Age : 49
Localisation : Ile et Vilaine
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeLun 2 Oct 2006 - 21:27

Train-train Pense1
Revenir en haut Aller en bas
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeLun 2 Oct 2006 - 23:53

...

Au moment où l'infirmière, une grande rousse bien en chair, entre dans ma chambre, s'interrompt la bobine de mes souvenirs. Elle me sourit avec douceur en s'approchant, sort de sa poche gauche un flacon de verre, et de la droite une seringue dont elle ôte le capuchon de plastique avec des dents éclatantes de blancheur. D'un geste précis, elle fiche l'aiguille dans le couvercle en caoutchouc du flacon, tire sur le piston pour remplir le réservoir, puis retire l'aiguille, en fait jaillir quelques gouttes et la plante directement dans le tuyau de la perfusion qui descend le long de mon lit et s'enfonce quelque part dans mon bras.

Pardon mademoiselle ... mais ma bouche reste immobile. J'ouvre grand les yeux, soulève les sourcils, l'air interrogateur, et désigne du menton mes jambes moulées dans le plâtre, ainsi que mes deux bras, logés à la même enseigne, le tout maintenu par un système complexe de câbles et de poulies.
"Le docteur va venir vous voir", est sa seule réponse tandis qu'elle sort de la chambre.

L'effet de la morphine - je saurais plus tard qu'on m'en injecte à intervalles réguliers - ne tarde pas à se faire sentir. Des millions de fourmis partent à la conquête de mon système nerveux et me procurent une sensation des plus agréable.
Je reprends le fil de mes souvenirs pour essayer de comprendre ce qui s'est passé la veille ... ou l'avant-veille. Depuis combien de temps suis-je sur ce lit d'hopital ?


...

(à suivre)
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Luciole
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Luciole


Nombre de messages : 1631
Age : 70
Localisation : Moissy Cramayel
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeMar 3 Oct 2006 - 8:43

Quelle intrigue !... Shocked
Revenir en haut Aller en bas
http://luciole-memoiresapart.blogspot.com/
babeth
Je tchatche
Je tchatche
babeth


Nombre de messages : 512
Age : 49
Localisation : Ile et Vilaine
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeMar 3 Oct 2006 - 9:58

Et Train-train Pense1
Revenir en haut Aller en bas
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeMar 3 Oct 2006 - 10:06

...

Tous les dimanches, depuis des années, je rends visite à ma grand-mère, pensionnaire dans un hospice près de Conflans-sainte-Honorine. Au téléphone celle-ci m'avait parlé plusieurs fois d'un nouveau médicament très prometteur contre l'arthrite.
" Ils cherchent des cobayes pour les essais cliniques, m'avait-elle chanté de sa voix chevrotante, et je me suis portée volontaire !"
Toutefois il fallait qu'un de ses proches approuvât le protocole, et j'étais seul à pouvoir prendre cette responsabilité sans lui faire la morale.
" On m'a mise en garde contre les effets secondaires. Tu te rends compte, mon garçon ! A quatre-vingt-douze ans ! Le seul effet secondaire qui m'attend, c'est la mort ! " plaisanta-telle, afin de se débarrasser le mot tabou de son effrayante signification.

C'est sa façon à elle de se protéger. A partir d'un certain âge, les vieux n'ont plus peur de mourir, prétend-elle. Ce qui les chagrine, c'est de faire de la peine aux jeunes. Je signai volontiers tous les documents qu'on lui avait remis et restai dîner avec elle.
Puis nous fîmes une petite promenade digestive dans le parc arboré et bavardâmes longuement assis sur un banc dans la tiédeur du soir. Je la quittai vers 20 h 30 et marchai jusqu'à la gare du RER. J'étais heureux pour elle. Il y avait un train pour Paris à ... à ...

Quand je me réveille, le docteur est à mon chevet, accompagné de ma charmante rouquine.
" Bonjour, monsieur Ramdane ! Comment vous sentez-vous ?
- Je ne me sens pas du tout, réponds-je avec les yeux en esquissant un sourire qui pèse des tonnes.
- N'essayez pas de parler. Vous avez eu la machoire brisée. C'est réparé, mais il va falloir attendre quelque temps que ça se ressoude avant de vous en servir. Vous savez que vous êtes arrivé ici en piteux état ? Vos jambes et vos bras étaient fracturés en plusieurs endroits. Pendant un moment nous avons même craint que vous ne soyez entièrement paralysé. Vous êtes un véritable miraculé. Dans un an, ce ne sera plus qu'un mauvais souvenir. Vous avez eu beaucoup de chance."
Ah bon ?
" Je reviendrai vous voir demain. Reposez-vous !"
Comme si je pouvais faire autre chose ! ...
Pauvre grand-mère. Je ne suis pas près de retourner la voir. Et encore moins de reprendre le train.
...

(à suivre)
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeMar 3 Oct 2006 - 18:20

...

J'étais plongé dans ma rêverie lorsque les trois loubards ont fait leur entrée dans le wagon à la gare du Val d'Argenteuil. Deux montagnes de muscles et un petit maigre avec des yeux de chien fou. Le genre de lascars avec lesquels il faut s'attendre à de sérieuses embrouilles.

Les portes à peine refermées, ils ont commençé à donner des coups de pieds partout. J'ai regardé discrètement derrière moi, afin de m'assurer qu'une porte me permettrait de changer de voiture en cas de nécessité absolue, et commencé un glissement latéral de mes fesses contractées par l'appréhension.

Ces gars-là sont des habitués de ce genre d'agression. Ils savent que le voyage n'est pas très long et qu'il leur faut agir vite. Malheureusement pour elle, et surtout pour moi, une jeune fille était assise toute seule au fond du wagon, contre la fenêtre, plongée dans la lecture d'un recueil de poésies de René Char.

Ils fondirent sur leur proie comme des vautours, s'installant sur les trois places libres autour d'elle. L'un d'eux lui arracha le livre des mains et le projeta au loin. Il tomba à mes pieds. La fille tenta de se lever, mais l'un des deux costauds la maintint assise en abattant son énorme poigne sur ses épaules. Face à elle le petit glissa ses genoux entre les siens, forçant ses jambes, saisi les deux pans de la robe de coton rouge, boutonnée sur le devant, qu'il commença à faire glisser vers le haut des cuisses. La jeune fille appelait au secours de toute ses forces. Nous étions tétanisés. Le chien de l'aveugle aboyait et tirait sur sa laisse, malmenant son maître qui tournait la tête dans tous les sens. Le troisième larron se leva et se dirigea vers nous en donnant de grands coups de sa batte de base-ball sur les barres métalliques. Il hurla, nous traitant de lopettes, promettant d'éclater la tête de celui d'entre nous qui aurait l'idée de bouger, puis rejoignit ses acolytes. Le petit tira d'un coup sec sur les pans de la robe. Elle se déchira en deux, dénudant entièrement le corps de la pauvre fille qui hurlait de plus belle. C'est alors que, piqué par je ne sais quelle mouche, je me levai et me dirigeai vers eux.
"- Messieurs, leur dis-je d'une voix théatrale, connaissez-vous René Char ? "

Les trois voyous me regardèrent sans comprendre.
"- Qu'est-ce t'as dit, toi ? me lança l'une des brutes, les mots sortant de ses lèvres crispées comme des lames de rasoir.
- René Char ! Connaissez-vous le grand poète René Char ?"


...

(à suivre)
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeMer 4 Oct 2006 - 19:42

...

Stupéfaits, un point d'interrogation gravé sur le front au-dessus de leur regard inexpressif, ils me regardaient avec cet air d'inquiétude innocente qui passe sur le visage des cancres à qui l'on demande de réciter une leçon qu'ils n'ont pas apprise.
- Personne, peut-être, mieux que René Char, ce poète inclassable, continuai-je plein d'aplomb, n'a percé le mystère des choses invisibles. Dans l'une de ses investigations il disait :

N'égraine pas le tournesol
Tes cyprès auraient de la peine
Chardonneret, reprends ton vol
Et reviens à ton nid de laine.

Tu n'es pas un caillou du ciel
Pour que le vent te tienne quitte,
Oiseau rural; l'arc-en-ciel
S'unifie dans la marguerite.

L'homme fusille, cache-toi,
Les herbes de champs qui se plissent ...


Un silence de mort régnait tout à coup dans le wagon. Les trois vautours marchaient vers moi au ralenti. Un couteau gicla d'une poche, la batte de base-ball se dressa comme un sexe meurtrier. Il ne manquait que l'harmonica d'Ennio Morricone. Je reculai en déclamant d'urgence un autre souffle de René Char.

Fruit qui jaillissez du couteau,
Beauté dont saveur est l'écho,
Aurore à gueule de tenailles,
Amants qu'on veut désassembler,
Femme qui portez tablier,
Ongle qui grattez la muraille,
Désertez ! Désertez !


Le premier coup de batte décrivit une brève parabole, m'atteignit en pleine figure et m'envoya directement dans le coma, me dispensant ainsi de sentir les coups suivants. Ah, si ! Je me souviens d'une sensation de froid intense dans le ventre au moment où la lame du poignard traversa mes abdominaux. Rien d'autre.

Pendant que l'infirmière m'injecte la énième dose de morphine, les explications du médecin se promènent comme des petits nuages sonores au-dessus de mes oreilles et se perdent dans les limbes de mon conduit auditif. Juste avant de sombrer dans les latitudes obscures du sommeil, je décide qu'à l'avenir je réviserai ma théorie révolutionnaire, " La poésie comme sport de combat ", que j'ai mis des années à échafauder.


Fin
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeJeu 5 Oct 2006 - 9:29

FELLAG Mohamed Saïd


(né en 1950) Ecrivain et humoriste. Né à Aït Illoul (Azzefoun). En 1960, la famille s’installe à Tizi-Ouzou où le père travaillait dans le service de l’hydraulique. Il connaît une scolarité "courte et ennuyeuse". Après l'Institut d'Art dramatique de Bordj El Kiffan, il s'associe avec des camarades de promotion pour fonder une troupe au sein du ministère de la Jeunesse et des Sports. Ce groupe se heurte à des blocages et ne produira qu'une seule pièce « Es-Soussa » (La vermine). Déçu, abattu et révolté, Fellag prend le chemin de l'exil. En 1985, il rentre au pays. Recruté au TNA comme comédien, il reste dans l'ombre jusqu'au jour où il joue « Les aventures de Tchop » (1987). Encouragé par le succès, il quitte le TNA et récidive avec Cocktail Khorotov (1989). Les émeutes d'octobre 1988 font sauter le verrou de la pensée unique et Fellag s'engouffre dans la brèche. Avec sa nonchalance, ses sarcasmes, ses allusions métaphoriques, Fellag ne raconte pas: il est la rue algérienne. Le public, qu'il interpelle sans vergogne, loin de s'offusquer, fait un triomphe à ce bouffon qui brocarde, sans crainte, les puissants de la République. En décembre 1992, Mohamed Fellag fut nommé Directeur du Théâtre Régional de Béjaïa. Il démissionne une année plus tard pour reprendre ses créations. Il quitte le pays , en 1994, grâce à un contrat de quelques mois en Tunisie qui lui paraît assez vite « trop petite et limitée ». En France où il s’est imposé comme l’un des plus grands maîtres de l’humour, il joue en arabe et en kabyle et, depuis 1996, son spectacle glisse vers le français. A la littérature, il ne se montre pas indifférent et il franchit vite le pas en signant en février 2001 son premier roman : « Rue des petites daurades ».

Fin de citation.

C'est l'auteur de la nouvelle ci-dessus. C'est quelqu'un de très attachant qui parle de l'Algérie et de ses habitants (les petits, ceux de tous les jours) avec infiniment de tendresse.

Sur ce fil, je vous ai copié un extrait de son dernier bouquin, tiré de son spectacle Le dernier chameau et autres histoires. J'espère que le découpage feuilletonnesque ne vous a pas embêté et que vous avez apprécié "Train train" avec autant de plaisir que j'ai eu à le faire connaître.
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
EDEN
Je discute
Je discute
EDEN


Nombre de messages : 416
Age : 73
Date d'inscription : 11/09/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeJeu 5 Oct 2006 - 14:26

"Le wagon pouvait contenir, au jugé, soixante personnes. Cela représente une foule capable de retourner une situation en sa faveur, si la révolte se conjugue avec l'instinct de légitime défense, quels que soient les adversaires "

Heureusement que les passagers des vols du 11 septembrte ne sont plus là pour lire celà !

Bonne idée que celle de copier des nouvelles sous forme de feuilletons, mais comme je ne suis pas de nature patiente et n'aime pas rester sur ma faim , ai tout lu quand j'ai vu apparaitre le mot fin
Revenir en haut Aller en bas
EDEN
Je discute
Je discute
EDEN


Nombre de messages : 416
Age : 73
Date d'inscription : 11/09/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeJeu 5 Oct 2006 - 14:37

et pour ceux , qui comme moi, ne connaissent pas René CHAR

LA BIOGRAPHIE DE RENÉ CHAR

Né en 1907 à L'Isle sur la Sorgue, René Char adhère à 22 ans au mouvement surréaliste. Il signe un recueil en commun avec Breton et Eluard mais reprend bien vite son indépendance en 1934. Son oeuvre sera désormais celle d'un solitaire et d'un homme d'action en prise avec son temps : en 1937, il dédie son Placard pour un chemin des écoliers aux 'enfants d'Espagne'. Démobilisé en 1940, il entre presque aussitôt dans la Résistance sous le nom de guerre d'Alexandre. Cette expérience sera relatée dans 'Les Feuillets d'Hypnos' (1946). Après la Libération, 'Seuls demeurent' (1945), somme des temps de guerre, est suivi du 'Poème pulvérisé' (1947), de 'Fureur et mystère' (1948) et des 'Matinaux' (1950) qui ont'mission d'éveiller', au sortir de la réclusion, aux mille ruisseaux de la vie diurne. Sa poésie est abrupte, hermétique. Tout son travail résidait dans l'épuration de ses phrases jusqu'à les réduire à de fulgurants instantanés.
Revenir en haut Aller en bas
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeDim 29 Oct 2006 - 13:11

Aller, je ne résiste pas ; je vous donne encore des nouvelles de ce grand bonhomme qu'est Fellag.

Ce texte est long, je vous le découpe donc en épisodes. Fellag prend ici le prétexte du couscous pour nous délivrer quelques unes de ses vérités; il y en a pour tout le monde.

Je vous encourage à déguster ce texte comme vous le feriez d'un excellent couscous.


Fellag
: en arabe, bûcheron, coupeur de route. Au figuré : bandit de grand chemin
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeDim 29 Oct 2006 - 13:15

J'ai récemment lu dans un magazine trés sérieux un sondage qui affirme que le couscous est aujourd'hui le plat préféré des Français. Vous imaginez ma joie et ma fierté en apprenant que le peuple qui a porté au sommet de ses possibilités l'art et le raffinement du bien-manger, mettait en tête de son panthéon culinaire "La" création de mes ancêtres maghrébins ? Derrière ce compliment exceptionnel à notre plat national se cacherait-il une déclaration d'amour ? N'est-ce pas une manière pudique et détournée de nous dire que vous nous aimez enfin ?

Je comprends qu'il n'est pas facile d'avouer de but en blanc ses sentiments à quelqu'un qu'on a méprisé assez longtemps. Vous nous envoyez un message subliminal à travers le couscous qui représente à vos yeux le fondement même de notre identité, puisque , selon le parler populaire, le Maghrébin est un Couscous tout comme l'Anglais est un Rosbif et l'Italien un Macaroni.

Pour aimer, il faut connaître. A présent que vous nous connaissez, vous êtes passé à l'étape suivante. Et quoi de plus approprié que le convivial couscous pour se laisser aller aux épanchements affectifs ? Quand vous êtes une majorité à déclarer "on aime le couscous", nous devinons que le compliment s'adresse à nous. Nous sommes issus d'une culture où la parabole et la métaphore sont des modes de communication naturels. Message reçu. Nous savons décoder. Merci ! J'en profite pour lancer un appel à la minorité de Français encore hésitants, et aux abstentionnistes. Faites un effort ! Vous avez tout à y gagner. Le fait d'accepter que nous faisons désormais partie de votre environnement social et culturel va vous rasséréner, vous faire du bien. Vous aurez moins d'ulcères. En nous intégrant, vous nous oublierz ! Nous réfléchirons ensemble à un nouveau projet de société. Vous nous avez enseigné la modernité, la république, la laïcité. On vous enseignera les fondements du mektoub, la philosophie qui permet de tout relativiser. On vous montrera les attitudes à adopter pour rester zen face à n'importe quelle catastrophe. Si, par malheur, un satellite tombe sur votre maison, si l'usine qui vous emploie ferme ou délocalise, il vous suffira de dire mektoub, c'est écrit, avec un coup d'oeil complice vers le ciel, accompagné d'un zeste de fatalité joyeuse dans la voix et tout ira mieux.

On vous apprendra aussi comment vous prémunir contre les effets néfastes du réchauffement de la planète. Nous, l'effet e serre, on connaît ! Le maghreb est un vaste laboratoire des conséquences de l'effet de serre et la France est aux postes avancés. Il est impératif de prendre des mesures d'urgence. Il faudra, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, intensifier, systématiser les mariages mixtes, et, pourquoi pas, les rendre obligatoires afin de procéder à des transferts de pigmentations "phototype 4", qui serviront de barrières contre les rayons ultra-violets B de plus en plus dévastateurs pour les peaux démunies de défenses naturelles. Il faudra également régulariser tous les clandestins et stopper les charters qui vident la France de sa matière première épidermique. A chaque fois que des maghrébins, des Africains sont renvoyés chez eux, c'est autant de Français malades qui se profilent à l'horizon. Il y va de la survie de l'espèce.

Mais revenons à nos chameaux. Toutes ces supputations autour de l'éventualité d'une affection nouvelle à notre égard est corroborée (excusez mon français colonial) par un autre sondage, selon lequel 63% des Français déclarent que nous sommes "formidables et travailleurs", alors qu'à peu près le même pourcentage nous trouvait "insupportables et fainéants", il y a à peine quelques semaines.

Dans cette vaste enquête était également posée la question suivante :" La France et l'Algérie envisagent de signer un traité d'amitié semblable à celui qui existe entre la France et l'Allemagne. Seriez-vous favorable ou hostile à cette idée ?". Les réponses donnaient 63 % de partisans contre 27 % d'opposants et, comme d'habitude, 10 % qui ne sont pas équipés intellectuellement pour avoir une opinion.

Le jour où j'ai lu les résultats de ce sondage, j'étais si heureux que je saluai tous les Français rencontrés dans la rue pour les remercier de ce revirement affectif.. Pour reconnaître un Français, c'est facile : il fait un pas en arrière quand un Arabe se précipite vers lui, même pour l'embrasser.

Nous, les Musulmans, avons un tel sens de la communauté que nous nous sentons responsables de tout : le bon comme le mauvais. Un ami occidental m'a raconté que, le 11 septembre 2001, son épicier tunisien lui a dit, au moment où il passait en caisse "Excusez-nous", Hein ! De quoi ? Eh ben, pour les attentats d'hier. Désolé."
Alors, moi, après avoir vu ce sondage, je levais la main et la portais à mon coeur, Merci, les gars, hein ! De quoi ? Eh ben, pour le sondage. Merci !




... (à suivre)
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeDim 29 Oct 2006 - 19:16

C'est dans les années 20 que les premiers immigrés algériens ont commençé à ouvrir de petits restaurants. Célibataires par la force des choses, ils avaient appris sur le tas les rudiments d'une cuisine approximative dans des chambres d'hôtel délabrées qu'ils partageaient à plusieurs afin d'envoyer un maximum d'argent à leur famille restée au bled.

Du grain dur, une sauce épaisse rouge vif, des carottes, des navets et de gros morceaux de boeuf, de mouton ou de poulet : c'était partout la même recette. Le ciment des retrouvailles quotidiennes des ouvriers du bâtiment. Un plat solide, correct, mais aussi éloigné de l'original que les "Arabes" de leur pays. Le couscous maison est fait d'une semoule légère, aérienne. La sauce et les légumes de saison sont harmonieusement combinés et les viandes, sélectionnées dans les morceaux les plus tendres sont imprégnées d'un savant mélange des épices les plus aristocratiques. Le bon couscous, contrairement à ce qu'on pense, ne donne pas envie de s'affaler et de ronfler à table.

La grosse différence entre Maghrébins et Français, c'est que les premiers le cuisinent chez eux tandis que les seconds le mangent au restaurant. Or, chacun sait que la chambre aseptisée d'un hôtel de luxe ne peut pas rivaliser avec le charme brut d'une nuit chez l'habitant. C'est pourquoi, même s'il tient la première place dans l'estomac des Français, le couscous leur reste étranger. Quand ils le dégusteront dans une famille nord-africaine, ils se gaveront aussi d'odeurs, de bruits, de rires, de chants, de grandes claques sur les omoplates, et de discussions sans fin où les arguments des uns et des autres volent au-dessus de la table avec une élégance rare.

Et puis viendra le jour où ils se l'accapareront vraiment. Ils voudront acheter un couscoussier et des plats où ils rouleront la semoule en chantant des ritournelles folkloriques. Ils traverseront la ville pour aller chercher une épice essentielle. Il mettront un aqfal avec un bout de chiffon entre la marmite et le couscoussier pour empêcher les déperditions de vapeur. En rentrant chez eux, ils s'arrêteront pour respirer avec volupté les effluves qui parfumeront l'escalier : "Tiens, les Martineau préparent un couscous, ce soir !"
Et le jour où l'un deux soupirera, à la vue du désert affectif qu'il s'apprête à traverser parce que sa femme vient de le quitter :" Qui va me faire le couscous maintenant ?" alors on pourra dire qu'il est vraiment entré dans les moeurs.



... (à suivre)
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeDim 29 Oct 2006 - 19:18

On se fait un couscous ? Y'a un bon couscous dans mon quartier. Je connais le meilleur couscous de Paris. Le Kabyle du coin fait, paraît-il, un excellent couscous ... Voici quelques unes des expressions qui décrivent bien la fulgurante progression dans la culture francophone.

Mais ce plat, qui a conquis le pays de Charles Martel - prenant au passage une revanche sensuelle sur la bataille de Poitiers, qui nous est restée comme une enclume sur l'estomac depuis treize siècles - n'est pas un bloc monolithique figé pour l'éternité dans une préparation unique et définitive. Au contraire, le couscous est riche, pluriel et ouvert aux vents de toutes les influences.
Pour éviter de donner des statistiques erronées, je dirai qu'il y a autant de couscous que de mères. Et le meilleur du monde est toujours celui de sa propre maman, puisque ce mets est un creuset d'affection maternelle.

La semoule est traditionnellement roulée à la main, exclusivement par les femmes. Si un homme se livre à cette activité, il n'est généralement plus considéré comme tel. Assises par terre, les femmes officient dans de grands plats en bois, en terre ou en aluminium qu'elles tiennent solidement serrés entre leurs jambes pour les stabiliser. Ells roulent, tout en arrosant d'eau par intermittence pour obtenir des grumeaux qui, à force d'être pétris, deviennent de fins petits grains. Comme Carmen roule ses cigares sur sa cuisse en chantant Carmen de Bizet, les rouleuses de semoule chantent, rient, bavardent et se racontent des histoires polissonnes qui moquent les hommes, s'amusant à tisser des revanches imaginaires qui leur mettent du baume au coeur, jusqu'à ce que l'imposante moustache patriarcale fasse son entrée et remette de l'ordre dans cette récréation quatidienne. Elles inventent aussi de mignons petits poèmes chargés d'allusions sexuelles qui portent à peine le voile.

Si vous n'avez pas de gynécée pour la fabrication artisanale du grain, vous pouvez acheter du couscous industriel. Il est d'assez bonne qualité, mais il manque bien évidemment sur chaque grain les caresses des mains expertes, les chants nostalgiques et la sagesse des femmes si jeunes mais déjà revenues de tout. Car ce sont les jeunes filles qui s'occupent de cette tâche ingrate, les femmes mûres gérant le travail intellectuel qui consiste à diriger les opérations. Privilège acquis, l'âge aidant, au fur et à mesure qu'elles perdaient les attributs visibles de la féminité.

Ceux qui ne veulent pas se contenter de ce grain d'usine basique peuvent aller au Maghreb et épouser quatre femmes. Le problème c'est de leur faire passer la douane française et de les régulariser, ce qui, avec les nouvelles lois, est devenu un vrai parcours du combattant.

Pour les puristes qui ne trouvent leur bonheur que dans le grain authentique, il y a plus simple : Barbès, Belleville ou autre marché d'Aligre. C'est la réplique exacte du couscous traditionnel, sans la lumière qui scintille dans la mémoire enfouie des épis.



... (à suivre)
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeDim 29 Oct 2006 - 19:19

Le grain industriel se vend dans n'importe quel espace commercial, mais on peut aussi l'acheter dans sa rue, chez "l'Arabe" du coin, qui est plus souvent un Berbère marocain. Il n'a rien contre les Arabes, bien au contraire, mais ça le fait chier qu'on l'appelle par quelque chose qu'il n'est pas et il considère que c'est une grave atteinte à son intégrité identitaire. Il ne dit rien parce qu'il respecte la France et ses lois, ainsi que l'ignorance et la légèreté de ses habitants.

Une fois que vous êtes chez "l'Arabe" du coin, donc, traversez les rayons fourre-tout, en marchant de côté comme un crabe, pinces bien allongées pour éviter les cartons de lessive, les boîtes de sauce tomate posées en équilibre sur le bord des étagères et les bouteilles de gazouze entravant l'étroit couloir qui méne à l'étagère sur laquelle est rangée la précieuse denrée. Prenez la première marque de semoule que vous voyez car c'est ... la seule ! Exactement la même que chez Leader Price, mais deux fois plus chère. Car "l'Arabe" sait que vous ne venez chez lui qu'aux heures où il y a embargo alimentaire ailleurs et qu'il reste la seule oasis où vous pouvez vous ravitailler. Lors des grandes fêtes, l'épicier maghrébin se transforme en centre international d'aide alimentaire ... payant. Une ONG de luxe.

Vérifiez quand même attentivement la date de péremption. Un jour, un ami a acheté une boîte de cassoulet sur laquelle il avait cru déchiffrer : à consommer avant le 30/10/93. A l'ouverture, il y a trouvé trois tortues Ninjas qui s'étripaient pour le dernier haricot ! En y regardant de plus près, il s'est rendu compte de son erreur. Il s'agissait du 30/10/63 ! A force d'être retourné dans tous les sens, le 9 avait fini par se retrouver la tête en bas.
Vous remarquerez que les angles de la boutique sont truffés de miroirs déformants dans lesquels vous vous voyez tout petit avec un gros nez ridicule. Il y en a même un qui est orienté vers le rayon fruits et légumes situé à l'extérieur, afin de capter le quidam qui se sert une pomme, mine de rien, en passant. Modernité oblige, certains se sont équipés de caméras vidéo qui vous donnent l'illusion de passer à la télé pendant que vous faites vos courses.

Quand vous arrivez à la caisse soyez patient si l'épicier arabe palabre au téléphone avec un vague cousin d'Agadir qui projette de se marier l'été suivant et lui demande une aide financière. S'il devient tout rouge, gesticule, transpire et crache des sons bizarres en vous fixant droit dans les yeux, n'ayez pas peur. Primo : pendant qu'il vous fixe, il ne vous regarde pas. Il prend juste appui sur vos yeux pour se projeter jusqu'à son village natal et dire à son cousin ce qu'il pense. Secundo : les mots rugueux, acérés et remplis d'âpres consonnes qu'il mâchonne dans sa bouche avant de les envoyer dans le combiné ne sont pas des insultes. C'est du berbère.

Il jure que, depuis trois jours, il n'a vendu qu'un misérable pot de harissa et que le premier client qu'il voit depuis la veille est un "infidèle" qui se tient devant lui, en ce moment même, comme un dadais, un paquet de couscous à la main, attendant qu'il ait fini de téléphoner pour encaisser ... "Mais, par Allah ! je le laisse mariner, le mécréant. Ils sont restés plus d'un siècle chez nous ; il peut bien attendre cinq minutes."



... (à suivre)
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeDim 29 Oct 2006 - 19:21

Il y a autant de couscous que de régions. Sa préparation varie en fonction du climat, du type de céréale, des légumes qui y poussent, des animaux qui y broutent et des habitudes culturelles. On peut dire pour simplifier, qu'il existe trois grandes variétés qui épousent les couleurs des trois grands ensembles géopolitiques de la région : le Maroc, l'Algérie et la Tunisie.
Dans cette étude, nous ferons abstraction de la Mauritanie et de la Lybie qui se sont arrimées au Maghreb politique pour des raisons que le couscous ignore.

Au Maroc, le couscous le plus renommé est le couscous royal. Pour le préparer, il faut : un roi, une reine, des princes, des princesses, et un palais qu'on appelle généralement par commodité le palais royal.

Le véritable couscous royal, qu'il ne faut pas confondre avec celui qu'on sert dans les restaurants de France - qui n'a de royal que le nom - est fait d'une variété rare de céréale obtenue par un savant croisement de Cerealus razibus et de Cerealus mordicus, bouturée avec une variété de l'antique Phénicie dont le secret se transmet de génération de jardinier de monarque en génération de jardinier de monarque. Elle est cultivée dans un périmètre hautement surveillé des hauts plateaux situés dans le centre du pays, où des familles de paysans rattachés au département agricole de l'intendance générale du palais travaillent depuis des siècles à sa culture.
Une fois moissonnées ces précieuses graminées sont transportées sous bonne escorte dans un emplacement secret où les silos sont gardés par des mamelouks qu'on castre juste avant la puberté afin d'éviter toute confusion dans les semences.
L'intendant régional répartit la production en fonction de sa destination. Le grain destiné au palais est broyé dans un moulin à vent spécial, équipé de deux énormes plates-formes en marbre de Carrare, taillées par les membres de la famille Almendro, fournisseurs attitrés de l'Eglise Catholique Romaine depuis le haut Moyen-Age, élevés au rang de la noblesse par Clément VII, pape du festival d'Avignon.
Cent bourriquots, deux cents nains du Sud, cent cinquante hommes en pleine possession de leurs facultés mentales et vingt vieillards à la valeur symbolique font tourner la meule jour et nuit.

Devant cette noria, cinq cents femmes de sexe masculin, tatouées et peintes de henné, chantent des louanges rythmées de tambour, flûtes et violons, qui remercient le ciel d'avoir été clément pour Sa majesté, que son règne - Inch' Allah - s'allonge indéfiniment.
La semoule brune ainsi obtenue est acheminée vers un village de haute montagne où elle est roulée par cent mains de vierges choisies parmi les plus belles filles du royaume. L'opération terminée, les nubiles offriront leur hymen intact au roi et embrasseront le Coran en jurant que, désormais, cet endroit ne sera jamais plus visité par de simples mortels, puisque "ce que notre seigneur et maître a inauguré devient automatiquement sacré". Les enfants du paradis engendrés durant ces unions passagères et symboliques appartiendront à l'intendance générale et seront affectés toute leur vie durant au service de la semoule royale.



... (à suivre)
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeDim 29 Oct 2006 - 19:22

Dans le faux couscous royal parisien on allèche le client partisan de l'approfondissement des relations franco-maghrébines ou désireux d'explorer l'univers de la magie orientale ... A ce propos, permettez-moi une de ces petites digressions dont je vous sais friand, même si je me suis retenu d'en user jusqu'à présent, afin d'éviter une trop grande déperdition narrative. Les Maghrébins n'aiment pas qu'on les traite d'Orientaux. Et pour cause ! Les premiers vrais Occidentaux, c'est nous ! En arabe, le mot Maghreb signifie "Occident". Maghreb, Occident - Maghrébin, Occidental ! Alors que Français ne veut dire que Français.
C'est comme ce que vous appelez la danse orientale. Chez nous, on dit la danse du ventre. Géographiquement, c'est vachement plus précis.

Dans le faux couscous royal parisien donc, on allèche le client avec une cuisse de poulet nourri aux hormones de croissance qui envoient généralement le cycliste en prison. Là, vous avez le cycliste dans l'assiette qui pédale dans la semoule. Juste à côté de lui trottine un morceau de tremblante de mouton britannique que vous n'arrivez pas à attraper avec la fourchette. Pour le coincer, il faut le surprendre au moment où il ne s'y attend pas. Faites semblant de parler avec votre voisin de table du troisième chapitre de La critique de la raison pure, en soutenant qu'il aurait du précéder le second, tout en ayant un oeil sur les mouvements de la bête. Au moment où sa vigilance se relâche, sautez dessus et coincez-le dans un renfoncement du vestiaire pour l'empêcher de s'échapper du restaurant, ce qui rendrait la poursuite encore plus compliquée.

La tremblante du mouton gagne en intensité à mesure qu'on approche de l'Aïd-el-Kébir. Et, pour la dernière fois, je dis aux Français : arrêtez d'appeler cette commémoration rituelle du sacrifice d'Abraham "fête du mouton". C'est la fête des Musulmans ! Le mouton, lui, n'est pas à la fête !

Entre le poulet et le mouton sont joliment disposées quelques saucisses grillées à point. Pour ceux qui l'ignorent encore, je tiens à préciser que la merguez, à l'instar du gros saucisson appelé casher parce qu'il est halal, est une invention des Juifs d'Algérie. Elle symbolise la peur ancestrale des circoncisions ratées. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard si Freud n'est pas d'origine viking, mais d'origine contrôlée. D'où sa fameuse théorie, " Tout vient de là", soutenue à l'université d'Innsbruck, où il fit scandale auprès de la communauté universitaire en sortant de son cartable une saucisse séfarade, qui lui avait envoyée de Tlemcen par son ami le rabbin Bénichou pour lui permettre d'étayer sa démonstration.
Nous partageons cette phobie avec les Juifs, au point de pouvoir dire qu'en dehors du lointain cousinage nous sommes surtout unis par "le complexe de la merguez". Et c'est bien dommage que le problème palestinien qui empoisonne les relations de cause à effet ne soit pas encore réglé, car les Palestiniens, eux aussi, ont le droit de vivre le complexe de la merguez dans de bonnes conditions psychologiques.



... (à suivre)
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeDim 29 Oct 2006 - 19:23

Dans les temps anciens, bien avant Hiroshima et Nagasaki, la couche d'ozone, le napalm, la sécheresse, el Niño, Tchernobyl, et les princes des Emirats qui les chassent à la mitrailleuse, la viande qui accompagnait tout vrai couscous royal digne de ce nom était la viande de gazelle.
D'après mon petit Larousse, la gazelle - de l'arabe rhazal - est un bovidé. C'est une antilope très rapide, aux cornes en forme de lyre, vivant dans les steppes d'Afrique et d'Asie occidentale. Aujourd'hui encore, on peut voir des rhzalates telles qu'elles étaient peintes jadis sur les parois des grottes du Tassili par nos ancêtres.

Si la promenade vous tente, faites vite. Quelques agences de voyage organisent encore des randonnées une ou deux fois par an, mais elles sont de moins en moins nombreuses. Au début, il y avait beaucoup de touristes mais, chaque fois, la moitié d'entre eux se perdaient dans le désert et mourraient de soif; certains plongeaient dans le mysticisme, d'autres devenaient fous, épousaient des chèvres et s'i,nstallaient définitivement là-bas. Ca les changeait du métro, disaient-ils dans leurs lettres ou dans les hiéroglyphes qu'ils gravaient sur des cailloux quand ils étaient à court de papier hygiénique.
Dans l'imaginaire des peuplades des steppes, la gazelle représente la beauté absolue. Pendant les longues nuits du bivouac, les nomades racontent qu'il y a des siècles, une très belle jeune fille nommée Rhazal s'obstinait à refuser les avances de Djaffar, un petit chef de tribu moche comme un pou. Cet homme adipeux, d'une méchanceté inouïe, avait juré que, si ses parents ne lui donnaient pas leur fille en mariage, il brûlerait la moitié du pays, violerait da propre mère et tuerait son propre père, ou l'inverse selon son humeur, ce qui jetterait la malédiction sur l'ensemble de la tribu pour l'éternité. On avait beau essayer de convaincre Rhazal de se sacrifier pour échapper au malheur, cette dernière tenait bon car elle détestait Djaffar et le trouvait aussi amer que Zeqoum, l'arbre qui pousse en enfer.
Un soir, le diable vint souffler à l'oreille du roitelet que, s'il acceptait de signer un contrat par lequel il s'engageait à devenir son agent pour la contrée, il transformerait à jamais la jeune fille en animal. Djaffar lui demanda s'il n'était pas plutôt possible de s'arranger pour que Rhazal tombe amoureuse de lui, parce qu'il n'était pas zoophile.
Le diable partit d'un rire fou et lui répondit qu'il pouvait tout faire, hormis changer le coeur d'une jeune fille. Le tyran, abattu, alla pleurer sept jours et sept nuits en se masturbant vigoureusement sur le sommet chauve de l'Atlas qui se couvrit de neige et revint annoncer au diable qu'il acceptait le marché.
Depuis cette triste histoire, gens du peuple, poètes, astronomes, anarchistes, caravaniers, nomades, forgerons, facteurs, clowns, gardiens de phares, alchimistes, dinandiers, philosophes et taxidermistes ne mangent pas de gazelle par fidélité à la belle Rhazal. En revanche, rois, reines, émirs, nazillons en col blanc, tyrannosaures, dictateurs, pasdaran, sombres vizirs, ploutocrates, apparatchiks, mussoliniens, acariâtres, atrabilaires, empereurs fous et autres cavaliers de l'apocalypse la traquent pour sa chair succulente et afin de venger leur ancêtre.
Quand les meutes de chiens, les hordes de cavaliers ou les fougueux 4X4 harcèlent l'animal dans sa course folle, le vent fait chanter sa lyre. En l'entendant, les oiseaux, les insectes, les plantes et les bergers pleurent toutes les larmes de leurs crocodiles. Chaque fois que des nantis tuent une gazelle, ils étouffent sa musique et assassinent le chant de la steppe.
Bien sûr il existe des variétés de couscous au poisson absolument succulentes. Au Maroc, il est préparé avec du dauphin. Pour obtenir un dauphin, il faut un roi, une reine ...



... (à suivre)
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeDim 29 Oct 2006 - 19:24

En Algérie, le couscous au dauphin se cuisine avec du requin. Pour trouver un requin, il faut en général un général, un général, un général ...

Surnommé "couscous présidentiel" jusqu'en 30 après 62, le couscous algérien a été supplanté, depuis que le pays est entré dans la cinquième dictature, par l'appellation "couscous armé". Couscous de régime autoritaire, il est fait d'une semoule en forme de plomb, au grain plus rigide que celui des autres pays maghrebins. Sur le marché, on peut trouver à profusion du petit, du moyen et du gros calibre. Si l'on n'a pas de couscoussier pour passer la semoule à la vapeur, on peut transformer son voisin immédiat, ou n'importe quel être humain au hasard, en passoire.

Le blé, comme chacun sait, est généralement cultivé par les paysans. Mais l'Algérie ayant, dès le début de l'indépendance, opté pour l'industrialisation collectiviste, les fellahs ont été engagés dans les usines socialistes pour moudre le blé importé des pays capitalistes, naâl waldihoum, que Staline les foudroie ! Les usines étaient achetées "clefs en main", ce qui signifie qu'une société étrangère construisait l'usine et remettait les clefs. Ensuite on ouvrait les portes et ça marchait. Normalement ...
Si l'on perdait les clefs, l'usine restait fermée car il n'y avait pas de double.

Le blé algérien pousse dans des grands containers qu'on décharge de grands bateaux venus de l'autre côté de la Méditerranée. Les plus grosses régions agricoles sont les ports d'Alger, Oran, Annaba, Skikda, Bougie et Constantine ... Ah non ! Il n'y a pas de port à Constantine.
Nous pouvons donc affirmer que la ville de Constantine n'est pas un producteur de blé à l'instar de Ouagadougou, qui n'est pas un port non plus et qui, de toute façon n'est pas algérienne.

Le grain algérien est fier, viril, farouche et draconien. Il ne supporte pas la critique. C'est pour cela qu'il fait le meilleur couscous de Maghreb. Quelqu'un à quelque chose à y redire ? ...
La corporation de ces agriculteurs d'un type nouveau porte le nom scientifique de "Mafia politico-financière", ce qui fait moins ringard que "producteur agricole" et moins vulgaire que "fellah".

La spécialité la plus répandue en Algérie est le couscous aux grosses légumes. L'un des dirigeants du parti unique, dans sa période de grandeur, s'appelait K. Bouya, ce qui veut dire "courge" en français. Un autre avait pour patronyme Batata, ce qui signifie "patate" en espagnol. Quand ils se téléphonaient, cela donnait : Allô ! La Courgette ? Oui, La Patate à l'appareil !
Les secrétaires pouffaient de rire, mais seulement une fois rentrées chez elles car, dans les bureaux, les murs ont des oreilles. Or tout le monde sait que les murs n'ont pas d'humour et qu'être mort de rire entre quatre murs peut vite vous amener entre quatre planches.
Le dialogue le plus surréaliste eut lieu un jour entre le chef du parti et l'un de ses subordonnés : Allô ! Qui est à l'appareil ? C'est l'appareil lui-même
!



... (à suivre)
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Claudius
On ne peut plus m'arrêter
On ne peut plus m'arrêter
Claudius


Nombre de messages : 1143
Age : 74
Date d'inscription : 26/08/2006

Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitimeDim 29 Oct 2006 - 19:26

Les dirigeants de ce pays, qui sont arrivés au pouvoir sans avoir eu le temps de passer par l'école, tellement ils étaient pressés, consomment du couscous à la chevrotine, servi avec de la chair à canon qu'on garde au frais dans l'obscurité des souterrains de la ville jusqu'à ce qu'elle soit bien faisandée. Quand vous arrivez en Algérie, on vous jette e la poudre de coriandre aux yeux pour vous empêcher de voir ce qui bout dans la marmite et entendre le cri gênant de la viande grillée dont la graisse huile harmonieusement les rouages des meules qui écrasent le bon grain dans un silence de mort.

Si le couscous a été inventé par les berbères, ce sont les Pieds-noirs qui l'ont médiatisé. Tout en respectant sa composition et la préparation traditionnelle, ils lui ont ajouté un ingrédient nouveau : la tchatche. Il ne s'agit pas d'une variété de sardine ni d'une danse acrobatique, mais d'un flux incontinent de mots distillés à très grande vitesse, dans le but principal de garder la parole le plus longtemps possible, même pour dire n'importe quoi.
"Môrice, goûte-moi ça ! Ca te rappelle pas la basetta ? Allez jure ! Purée ! Ferme les yeux ... Hein, t'es pas à Babazoun, làààà ? Tu te souviens des olives, Mômô, comme des pastèques qu'elles sont, dis ! Tu presses une olive, tu as deux litres d'huile ... Et quelle huile, mon ami ! Tu en mets trois gouttes dans le saladier, l'odeur, elle sort plus de la maison. Si tu ne supportes pas, vaux mieux déménager ! ..."

Avec un Pied-noir, impossible de manger le couscous tranquillement. Vous pensez profiter d'une ponctuation pour remplir la cuillère, mais lui,il ne met ni point ni virgule.
"Mômô, Môhamed, Môrice ! tu m'écoutes pas quand je parle, dis !"

Il tchatche, il tchatche, il tchatche ... sans jamais respirer, tellement il a peur. S'il s'arrêtait pour prendre de l'air, quelqu'un d'autre pourrait lui prendre la parole. Après, il faudrait qu'il fasse la queue devant le distributeur de tickets de conversation et qu'il attende son tour en silence pour parler à nouveau. Autant le condamner à mort !
Les "Arabes" leur ont appris la parlotte. Ils l'ont mônôpôlisée !

Les Pieds-noirs ont quand même apporté un grand plus au couscous : le vin rouge.
Avant eux, on buvait le traditionnel leben, le petit lait, qu'on appelle ainsi parce qu'il n'y en a pas beaucoup. C'est normal. Tout est petit en Algérie : les chèvres, les mamelles, les paturages.

Avec les Pieds-noirs, l'Algérie coloniale s'est retrouvée divisée en deux communautés: les buveurs de rouge et les buveurs de leben. Si ces deux boissons, diamétralement opposées, ne font pas le même effet, elles mènent toutes deux au même endroit.

Pendant les cent trente-deux ans qu'a duré leur cohabitation obligatoire, le rituel s'est répété, immuable, du solstice d'été au solstice d'hiver. Les Français, assommés par le Mascara, et les Arabes, ramollis par le leben, se dirigeaient au même moment vers l'olivier le plus proche pour y faire la sieste. Le temps qu'ils traversent la cour, le soleil leur envoyait le dessert juste derrière la nuque.
Attention ! Chez nous, la sieste, c'est une deuxième nuit. Elle commence à deux heures et se termine à six heures et demie. Avec la chaleur qu'il fait, on peut ronfler tranquille : tout dort. L'eau s'arrête de couler, les oiseaux de voler, les feuilles de bruisser, les mouches de moufter. Seules les cigales font les "trois huit", comme les immigrés chez Renault. Quand une équipe s'endort, l'autre prend la relève. Ce sont les intermittentes du spectacle.
Les seules qui ne se reposent jamais, quelles que soient les circonstances, ce sont les fourmis. De temps à autre, il y en a une qui passe sous l'aile de votre nez, et vous arrachant un soupir semblable à celui qu'on pousse quand on apprend que sa femme est enceinte pour la huitième fois ou que la belle-mère vient passer trois trimestres à la maison.
Ah, la sieste en Algérie, c'est sacré ! Même pendant la guerre, à partir de deux heures de l'après-midi, les combattants cherchaient l'ombre des oliviers ! Voilà pourquoi le conflit a duré sept ans.

D'ailleurs, puisqu'on parle de cette guerre, je crois que si pendant le siècle de cohabitation, les Français d'Algérie avaient mis du leben dans leur vin, on aurait hallelisé nos rapports et on serait peut-être aujourd'hui en train de savourer ensemble de jolies petites siestes égalitaires.



FIN
Revenir en haut Aller en bas
https://oncause.1fr1.net
Contenu sponsorisé





Train-train Empty
MessageSujet: Re: Train-train   Train-train Icon_minitime

Revenir en haut Aller en bas
 
Train-train
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
ON CAUSE :: On conseille :: C'est écrit-
Sauter vers:  
Ne ratez plus aucun deal !
Abonnez-vous pour recevoir par notification une sélection des meilleurs deals chaque jour.
IgnorerAutoriser