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 Nouvelles pour la liberté

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Claudius
On ne peut plus m'arrêter
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Claudius


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MessageSujet: Nouvelles pour la liberté   Nouvelles pour la liberté Icon_minitimeDim 8 Oct 2006 - 18:41

Depuis plus de quarante ans Amnesty International se bat pour la liberté, lutte conttre la peine de mort et la torture, pour le droit des prisonniers d'opinion, les droits des enfants, et toutes les libertés d'expression.

Ces causes sont évidemment l'affaire de tous.

[align=center]Une petite visite s'impose[/align]

J'ai entre les mains un bouquin que j'ai acheté (et je vous encourage à faire de même) dont tous les droits d'auteur sont intégralement reversés à Anesty International.

17 écrivains ont mis en commun leur talent pour nous offrir 16 nouvelles généreuses, engagées, déroutantes parfois.

Je vous les cite :
Tahar Ben Jelloun, François Bott, Geneviève Brisac, François Busnel, Andrée Chedid, Philippe Delerm, Marie Desplechin, Nancy Huston, Percy Kemp, Marc Lambron, J-M.G. Le Clézio, Marc Levy et Sophie Fontanel, Gerald Messadié, Dominique Sigaud, Yves Simon et Gilbert Sinoué.

Ca s'appelle Nouvelles pour la liberté et c'est édité au cherche midi et c'est 15 €.

Je vous en ai choisi une; je vous préviens, elle est dure, trés dure. Mais c'est encore la réalité dans certains pays, et pas seulement des pays du Tiers Monde, dans nos univers industrialisés c'est encore présent.
Bonne lecture
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MessageSujet: Re: Nouvelles pour la liberté   Nouvelles pour la liberté Icon_minitimeDim 8 Oct 2006 - 18:43

Un hurlement, trois fois répété, à vider les murs eux-mêmes de toute sonorité comme si cet excés de voix saturait tout, à nier pour l'éternité qu'aucun autre bruit humain ait jamais existé dans cette pièce où d'autres pourtant avaient déjà crié. C'était du corps pur se manifestant par la bouche, tentant en vain de trouver une issue à la douleur, une échappatoire, criant comme on vomit. Puis la bouche se referma, trois fois, comme si le corps un instant s'apaisait dans le cri mais après chaque silence ils recommencèrent, les mêmes décharges, au même endroit, sourds aux cris croyaient-ils. C'est pourtant eux qui les firent parler et rire un peu plus tard, trois hommes, comme pour vider par la bouche que ces rires et ces paroles franchissaient ce que leurs tympans et leurs cerveaux venaient de recevoir, comme trois décharges aussi, mais sans douleur apparente.
Son corps tremblait. Toute salive avait reflué de sa bouche, les gencives et les mâchoires, les dents même, comme en métal, un métal aigu, partout dans les muqueuses et les parois humides. Ils reposèrent la question. Une nouvelle fois elle l'entendit, elle la connaissait.
Après la question venait toujours un temps de silence, quelques secondes pendant lesquelles ils attendaient qu'elle choisisse de dire ou de se taire, c'était très difficile, elle avait envie de leur dire le nom du camarade; un seul suffisait, juste un et ils s'arrêteraient. Mais ensuite plus rien ne serait comme autrefois, elle le savait, un seul nom sorti de sa bouche et tout serait changé. La mémoire. Son regard dans le miroir. Les rêves. La nuit. Les matins. Changé de goût à tout jamais. Et les camarades aussi, disant "nous comprenons" la voix lasse, attristée, plus lointaine déjà. Elle avait à choisir, elle seule. La douleur grandissante dans le corps, odieuse, ou celle de parler; c'est là qu'ils l'avaient mise, entre ces deux. Elle seule était libre de le faire, de savoir, pour elle-même quelle voie prendre; C'est devant cette liberté qu'ils l'avaient placée, d'avoir à décider entre deux désastres.
Si elle se taisait, ils continueraient; s'ils continuaient rien non plus ne serait comme avant. Vagin détruit, corps incendié et dans la mémoire aussi cette douleur définitive, ce que leurs mains vaient fait d'elle, et ses propres cris dans ses propres tympans.

Elle était libre de choisir, Nguma leur avait appris comment, le nom que portait cette liberté d'avouer quand ce ne serait plus supportable ou de se taire.
Vous seuls pouvez savoir, avait-il dit, et personne au monde ne peut s'y opposer. Ils étaient un très petit nombre à l'écouter, tous du syndicat, tous volontaires pour aller plus loin, prendre le risque, certains autres n'auraient pas pu et Nguma le savait; la liberté s'étend différemment sur la rive de chacun, le fleuve est plus ou moins profond, la rive plus ou moins étroite, nous sommes tous différents. Nguma leur enseignait ce que lui-même avait appris autrefois, les traces sur sa poitrine et ses jambes en témoignaient assez; à vingt ans il s'était retrouvé entre leurs mains; à l'époque sa colère était suffisante pour le supporter leur avait-il dit, il faut que votre colère soit suffisemment profonde car c'est d'elle que vous devez tirer votre force. C'est lui qui vait proposé à Rose de les rejoindre en lui disant qu'elle pouvait refuser à tout moment; entre eux, ils ne devaient pas être prisonnier, seule la liberté pouvait les attacher les uns aux autres. Une première fois elle avait dit oui, sa colère était suffisemment profonde; elle voulait apprendre de Nguma comment la fructifier.


(à suivre)
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MessageSujet: Re: Nouvelles pour la liberté   Nouvelles pour la liberté Icon_minitimeDim 8 Oct 2006 - 18:44

...


Toute la nuit il leur avait parlé. C'était dans une simple cahute en lisière des ravines de la brousse, personne n'empruntait plus les pistes ni ne cultivait à cet endroit, la sécheresse avait tout détruit. Ils étaient huit exactement, elle ne connaîtrait pas leurs noms. Les lumières de la maison étaient éteintes, toute la nuit Nguma leur avait parlé. Rose avait même dû se lever au bout d'un moment comme si elle allait partir. Elle savait que ce que leur racontait Nguma existait, c'est pour cela qu'elle l'avait rejoint, mais pas comme ça, elle ne savait pas avant cette nuit ce que les hommes étaient capables de faire à d'autres juste pour un nom, ce qu'ils étaient capables de leur dire, la douleur qu'ils étaient capables de leur infliger, comme s'il s'agissait d'un travail.
Elle avait même dit avant la fin de la nuit je crois que je ne pourrai pas. John Koma, le plus jeune, s'était cru obligé de sourire en l'entendant. La seule femme parmi eux, les femmes ne sont pas capables. Car Nguma leur avait dit aussi ce qu'ils faisaient aux femmes, c'était différend, ni plus ni moins cruel mais différent. Des hommes, ils touchaient l'appartenance à l'espèce. Des femmes, ils attaquaient aussi l'appartenance au sexe, et seuls les hommes le faisaient. Il n'y avait pas de femmes^parmi eux, pas encore, un jour peut-être, dans d'autres pays peut-être déjà.

Elle avait quitté la cahute cette nuit-là sans retourner chez elle, elle avait repris le travail directement à la cuisine du snack en centre-ville pour étudiants et employés peu rémunérés. Tout le jour elle n'avait cessé d'y penser. La nourriture qu'elle avait préparée lui avait soulevé le coeur. Toute la nuit suivante aussi elle y avait pensé, essayant de les imaginer entrant chez elle avant l'aube, attachée par terre dans la fourgonnette, conduite dans les sous-sol du poste numéro six, ligotée, mise à nu, violée interrogée battue électrodes sur les seins, Nguma leur avait tout dit, pour qu'ils sachent avant de se décider. Cette nuit-là aussi elle avait pleuré, de la peur qu'elle ressentait, de la solitude extrème dans laquelle elle se trouvait, une solitude née de cette peur, Nguma aurait dû leur dire ; de la peur naît une grande solitude. Elle avait dû rallumer la bougie pour le supporter, tenter de lire mais les mots du livre n'avaient rien pu, c'est les siens qu'elle devrait tenter de trouver ; elle avait soufflé la bougie et les avait cherchés. Personne ne t'oblige ni ne t'obligera, avait dit Nguma, cette vie est la tienne, tu es libre de refuser.

Elle avait dit oui six jours plus tard, après six jours et six nuits de questions et de doutes, de peur et de solitude, pensant à son père et à sa mère, à leurs visages aimants et las qui disaient parfois autrefois "ce sont des hommes indignes", réécoutant cent fois les paroles de Nguma jusqu'à ce qu'elles soient devenues comme siennes. Puis, la dernière nuit elle avait rêvé. De ce rêve, au matin, sa décision était venue ; ce serait oui.
Alors Nguma avait parlé encore, plusieurs nuits, pour ceux qui avaient accepté. Ils n'étaient plus que six. Plusieurs nuits, il leur avait dit ce qu'ils feraient s'ils les arrêtaient, leur enseignant où trouver en eux la liberté de se taire malgré la douleur extrême, et à nouveau Rose avait eu peur en l'entendant et l'avait dit, mais Nguma souriant avait répondu "et moi ne crois-tu pas que j'ai eu peur et que j'ai peur encore mais sache que dans ta peur nous serons encore présents comme si nous t'écoutions et te consolerions de ce qu'ils pourraient t'infliger".
Ce sont ces mots exactement qui étaient revenus tandis qu'elle était entre leurs mains sans plus savoir jusqu'où elle aurait le courage d'aller, pensant à son père à sa mère à Nguma, aux traces sur le ventre et la poitrine de Nguma, il leur avait montré en disant "je porte sur moi leurs traces jusqu'à ma mort". Et elle s'était évanouie sur la table où ils l'avaient attachée, sous leurs paroles obscènes et la souffrance. De douleur, de peur. Son corps l'avait évanouie pour qu'enfin elle puisse se reposer un peu de la douleur, de la peur et de la solitude.


(à suivre)


Dernière édition par le Dim 8 Oct 2006 - 18:47, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Nouvelles pour la liberté   Nouvelles pour la liberté Icon_minitimeDim 8 Oct 2006 - 18:46

...


Elle avoua le lendemain à cause des tessons de bouteilles dans son vagin qu'ils avaient enfoncés en parlant entre eux comme s'ils emplissaient de farce un poulet déjà mort. Ils savaient ce qu'ils faisaient. On leur avait appris à le faire. Eux aussi avaient été libres d'accepter ou de refuser ce qu'ils appelaient entre eux un travail pour plus de commodité, même si plus tard ils diraient le contraire quand à leur tour ils seraient interrogés, mais l'obéissance qu'ils invoqueraient n'était que nom de carnaval et mascarade, un pseudonyme de liberté habilement trouvé, un nom de code pour mieux se camoufler, une pensée vide pour mieux se taire et ne rien penser. Chacun de vous ne saura qu'une chose, avait dit Nguma, afin que chacun de vous n'ait qu'une chose à leur dire s'ils vous arrêtaient, et elle la leur dit. Pour rester vivante encore un peu.

Ils la jetèrent dans un fossé la nuit tombée. C'est un paysan qui la trouva à l'aube. Ne sachant quoi faire, il lui donna de l'eau, sans toucher au corps, à ses marbrures, ses ravines et ses marques de désespoir. Sans doute comprit-il sans le savoir d'où elle revenait; la peur l'avait saisi en le comprenant, il avait eu envie de fuir, de s'éloigner de cette chose humaine vêtue d'un reste de robe qu'on avait jetée dans le fossé.

Ils étaient seuls au bord d'un champ désert. Qu'ai-je fait pour me trouver là, avait pensé l'homme, puis ses yeux s'étaient de nouveau baissés vers le visage soufflé, bleui et comme accidenté. Il s'était penché. Peut-être était-elle morte. Il ne voulait pas que la mort vienne jusqu'à lui sous les traits de cette femme; c'est pour ça qu'il avait pris de l'eau de sa calebasse et la lui avait jetée. La peau avait réagi, l'homme avait respiré; cette chose vivait. Elle était encore libre.


Dominique Sigaud
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