Mon dernier cheveu noir.

C'est le titre d'un bouquin de Jean-Louis Fournier.

Visiblement, à sa lecture, on s'aperçoit que l'auteur a du mal à vieillir.

Sur ce fil, je vais vous faire partager quelques unes de ses réflexions en vous précisant tout de suite que je suis loin de les partager (au moins pour la plus grande partie d'entre elles)

La nouvelle est tombée brutalement, comme une tuile. J'en suis encore sonné. Il y a des matins où c'est encore plus dur de vieillir.

On nous l'a appris à la radio, sans ménagement.

Désormais, à partir de soixante ans, vous n'avez plus le droit de conduire un autobus.

Je pense à tous ceux qui, dans l'autobus, s'asseyaient juste derrière le chauffeur pour le voir conduire et qui rêvaient, un jour, d'être à sa place.

Plus grands ils ont été pharmaciens, médecins, P.-D.G., ministre ... Jamais ils n'ont eu l'occasion de conduire un autobus. Ils pensaient se rattraper sur le tard. Ils doivent être bien déçus aujourd'hui. La longue liste de leurs regrets va encore s'allonger.
Et il y a pire.
Je pense à l'ancien jeune qui vient de s'acheter un autobus neuf, à crédit.

J'ai retrouvé la photo du petit morveux que j'étais il y a cinquante ans. Je le regarde, il me regarde aussi. Dans ses yeux il y a de l'arrogance.
Peut-être qu'il ne me reconnaît pas, qu'il me prend pour un étranger. Ou alors, pire, qu'il a honte.

Tu as honte de moi ? Regarde-moi bien, p'tit con, tu sais pourquoi je suis dans cet état-là ?
Tu les vois mes dents foutues ? C'est à cause de tous les bonbons que tu as bouffés, en plus tu ne te lavais jamais les dents le soir.
Tu vois mes petites cannes de serin ? C'est à cause de toi, tu séchais les cours de gym, et, au lieu de faire du vélo, tu faisais de la mobylette.
Tu vois mon nez rouge ? C'est à cause des cuites que tu as prises tous les vendredis soir depuis que tu as quinze ans.
Si je tousse, si j'ai les doigts jaunis, c'est à cause de toutes les cigarettes que tu as fumées en douce, dans les chiottes.
Ne réponds pas : "T'avais quà pas continuer", je te fous ma main dans la figure.
Si j'ai une petite retraite de merde, c'est à cause de toi, t'as rien foutu en classe, t'as loupé tes examens.

A cause de toi, j'aurai jamais mon bac.

Même à titre posthume.

Interdits le saucisson, le foie gras, les frites, la mayonnaise, le confit de canard, le pain, le beurre, le fromage, le vin, le café. Réduire le sucre, ne pas en mettre sur les fruits, ça tue le goût.

Le médecin a ajouté :
" il ne faut pas sucrer les fraises."
Il a ri. Pas moi.
"Le soir, mangez légèrement.
" En plus, ce serait bien de vous arrêter de fumer."
- "Qu'est-ce qui va me rester ?"
Il n'a pas répondu tout de suite.
-"Est-ce que au moins, je vais augmenter ma durée de vie ?"
Il a eu l'air embarassé. Il a simplement dit :
"Je ne peux pas vous le garantir ..."
- "Alors où est l'intérêt ?
" Vous ne vivrez paut-être pas plus longtemps, mais vous verrez, il y a une surprise.
- "Quelle surprise ?"
"Ca vous paraîtra beaucoup plus long."

Il y a cinquante ans, la durée moyenne de vie était de soixante dix ans.
La durée moyenne d'un film était de qutre-vingt-dix minutes.
Aujourd'hui, la durée moyenne de vie est de quatre-vingt-dix ans.
La durée moyenne d'un film est de cent vingt minutes.
C'est mieux ?
Ca dépend du film.

Il faudrait que je me fasse expertiser, mais pas par n'importe qui. Il faut que je trouve un expert spécialisé dans le XXème siècle.
J'en ai trouvé un.

Il m'a d'abord examiné de loin, il a tourné autour de moi, pour voir mon allure. Il a simplement dt :"Mileu du XXè."
Il connaissait son affaire.

Il m'a demandé de me dégarnir. Il voulait voir si le squelette était solide. Il s'est assis sur moi, j'ai grincé un peu. Il a examiné mes chevilles, il s'est accoudé sur mes bras.

Sur le certificat, il a écrit : "Original du milieu du XXème siècle."

Je suis rassuré, je ne suis pas une copie.

De toute façon, ça ne vaut pas grand chose actuellement. Il y en a trop sur le marché.

Dans le métro, une jeune fille de vingt ans est assise, charmante, distinguée. J'ai l'impression qu'elle me regarde furtivement.
Je me tiens à la barre chromée devant elle.
Peut-être qu'elle me trouve élégant ?
J'ai un manteau noir et une belle écharpe écossaise. Le matin, je me suis lavé les cheveux, ils sont longs et mousseux. Elle me trouve peut-être une tête d'artiste, de musicien.

J'ai pris un air inspiré, je me suis mis à pianoter discrètement la barre chromée, comme une contrebasse.

Peut-être a-t-elle un père ordinaire dont elle aimerait changer et elle se dit, avec nostalgie : "C'est un père comme ça que j'aimerais avoir"?

Non, c'est bien mieux, elle pense aux jeunes qu'elle fréquente, souvent incultes. Elle veut mieux. Elle mérite mieux. Elle rêve d'un type qui lui apprenne des choses, qui lui ouvre les portes de la culture. Question culture, j'en connais un rayon, je peux lui citer, dans l'ordre alphabétique, dix pianistes classiques et dix peintres dont le nom commence par un B.

Soudain elle se lève. Elle vient vers moi. Elle me sourit. Elle est encore plus belle, je suis bouleversé.
Comment va-t-elle s'y prendre pour me dire que je l'intéresse ?
Elle dit :
-" Voulez-vous vous asseoir, monsieur ?"

J'encaisse le coup.
J'accepte l'offre, je remercie et je m'assois.
Elle m'a pris pour un vieux, je vais la prendre pour une petite morveuse.

Les dix pianistes dont le nom commence par un B étaient, dans l'ordre alphabétique :
Paul Badura-Skoda,Jean-Joël Barbier, Pierre Barbizet, Daniel Baremboïm, Arturo Benedetti,, Michel Beroff, Stephen Bishop Kovacevitch, Wilhem Blackhaus, Jorge Bolet, Alfred Brendel.
Les dix peintres étaient :
Balthus, Bellini, Blake, Bonnard, Bosch, Botticelli, Boucher, Boudin, Braque, Breughel.

Tant pis pour elle.

Ouf il faut mieux ne pas le lire a l'âge que j'ai, je risque de paniquer.

Chapeau Claudius

Tant que tu auras cet humour tu ne vieilliras jamais.

Je vais au salon du livre vendredi et je crois bien que je vais le chercher...




De lolo du sud sur Ragondins:

" à quoi sait-on qu'on est devenu vieux ? réponse " même bronzé, on reste moche !"

"bébé, on apprend à marcher à l'aide d'un youpala, plus vieux et décati avec un déambulateur et entre les deux, on court à sa perte".